Le 21 septembre 2015

Voyage, voyage

Le tourisme, facteur et produit de la mondialisation, en est aussi le reflet. Formidable moyen de découvrir l’autre et le monde et d’ainsi mieux le comprendre, il soulève également des problèmes environnementaux, culturels, économiques, relationnels, … qui invitent à réfléchir à deux fois avant de prendre son envol. Faut-il pour autant renoncer aux voyages ? Nous aurions tendance à répondre que non. La question, nous semble-t-il, n’est pas tellement : faut-il ou non voyager mais plutôt : comment ? Comment concilier ce départ à la découverte de l’Autre et de son environnement sans pour autant, par cette démarche, leur nuire ? Nous explorons ici quelques pistes….

Voyager. Pour découvrir les beautés incroyables de notre planète et de ses habitants, pour gouter un peu la liberté d’être loin de ses contraintes quotidiennes et laisser fondre ses soucis quotidiens sous le soleil, le voyage fait rêver, surtout s’il est synonyme de vacances. Bien que culturellement construit, il fait partie pour beaucoup des besoins quasi essentiels. Ce n’est pas pour rien qu’on assiste littéralement à une explosion du tourisme. Entre 1950 et 2012 on est passé de 10 millions de vacanciers internationaux à un milliard et le tourisme représente aujourd’hui 10 % du Produit Mondial Brut.

Pourtant, si le tourisme est devenu l’une des principales sources de devises pour un tiers des pays en voie de développement, il n’en est pas moins accompagné de coûts sociaux et environnementaux importants : ponction abusive des ressources, notamment l’eau, marchandisation des rapports  ̶  le touriste est vu comme un portefeuille sur pattes et les locaux uniquement comme des marchands trop intrusifs –, privatisation du patrimoine, sans parler de l’impact carbone des déplacements que les voyages impliquent souvent. Enfin, le tourisme met cruellement en lumière les inégalités : « moins d’un septième de l’humanité, en position économique, culturelle et politique de visiter les six autres septièmes ». En effet, « relativement accessible en Occident (pour 60 % de la population), le voyage de loisir reste inaccessible ailleurs (pour 80 à 99 % de la population selon les pays). […] « Migrations d’agrément » et « migrations de désagrément » se croisent aux frontières, béantes pour les uns, grillagées pour les autres »[1]. Cette asymétrie biaise notre rapport à l’Autre[2]

Bref, de quoi y réfléchir à deux fois avant de prendre son envol vers des contrées exotiques[3]. Mais faut-il pour autant renoncer aux voyages ? Malgré ces constats, nous aurions tendance à répondre que non, que ce serait dommage, car le voyage peut également être porteur de réelles rencontres de l’Autre, permettant une meilleure compréhension, et de là, on peut l’espérer, une mondialisation plus solidaire.

La question, nous semble-t-il, n’est pas tellement : « faut-il ou non voyager ? » ; la fin du tourisme Nord-Sud semble une utopie pas forcément souhaitable. La question serait plutôt : « comment ? ». Comment concilier ce départ à la découverte de l’Autre et de son environnement sans pour autant, par cette démarche, leur nuire ?

De cette préoccupation est né un mouvement large et protéiforme de tourisme responsable qui entend « promouvoir le développement économique et l’épanouissement des populations locales, par (1) l’implication dans l’économie locale, (2) une rémunération juste et stable des partenaires, (3) des conditions de travail décentes, (4) des échanges de connaissances et de bonnes pratiques, (5) la préservation à long terme des ressources naturelles, culturelles et sociales, (6) une rencontre authentique entre les voyageurs et les populations locales »[4]. Des initiatives de toutes sortes fleurissent : des associations proposent des chantiers de volontariat, des réseaux d’échange reposant sur la gratuité se développent – par exemple le couchsurfing[5] ou le wwoofing dont nous parlerons plus bas –, des tours opérateurs labélisés « solidaires » proposent des voyages « responsables », « équitables », « durables », les fermiers proposent un hébergement à la ferme avec la possibilité d’y acheter leurs produits et de visiter leurs activités…

Ces initiatives ne sont évidemment pas toutes à mettre dans le même sac : elles diffèrent par le type de voyage qu’elles proposent et par leurs objectifs. Les réseaux d’échanges permettent de voyager hors de toutes structures, à bon marché, tout en rencontrant les « locaux ». Les chantiers de volontariat, plus cadrés, sont pour les associations des moyens de sensibiliser à la citoyenneté mondiale, alors que, de manière générale, les tours opérateurs surfent plutôt sur la vague du tourisme responsable. Ils répondent  à une demande de niche d’une frange de la population qui cherche un tourisme plus « authentique », loin des sentiers battus des grands complexes hôteliers, tout en restant dans une logique marchande.

Le Wwoofing : un exemple de tourisme responsable
 

Pour illustrer notre propos, nous épinglerons une initiative en particulier que nous avons eu l’occasion d’expérimenter : le Wwoofing. Le Wwoofing est l’acronyme de World Wide Opportunities on Organic Farms (Opportunités dans les fermes biologiques du monde entier). Ce réseau, présent dans une soixantaine de pays, permet aux voyageurs d’expérimenter la vie dans des fermes pratiquant une agriculture écologique[6], d’en apprendre les techniques et de partager le quotidien des fermiers. Chaque pays a sa propre branche qui fournit, moyennant payement, une liste des fermes ainsi que de quelques exploitations non-agricoles  ̶  centres éco-pédagogiques, d’éco-tourisme,…  ̶  auxquelles le voyageur peut s’adresser pour y donner un coup de main en échange du gite et du couvert. Ces exploitations ont pour caractéristiques d’être de petite taille et de fonctionner selon les principes de l’agriculture durable. Certaines fermes acceptent les enfants, il est donc possible de vivre cette expérience en famille.

Les activités que les wwoofers auront l’occasion de pratiquer sont variées : maraichage, élevage, construction et réparation des différentes infrastructures. Notons que, étant donné qu’il s’agit souvent de petites exploitations dont les fermiers vivent quasi en autoconsommation, les activités au sein même d’une ferme sont variées. Nous avons, par exemple, vécu une semaine chez un berger qui faisait du fromage de chèvre et dont la ferme fonctionnait selon des principes de permaculture[7]. Nous avons eu l’occasion tout à la fois de mener le troupeau en pâturage, de traire les chèvres, de faire du fromage, mais aussi d’intervenir dans le cycle des différents composts, de nettoyer le système d’épuration naturelle des eaux, d’entretenir le verger et d’attraper quelques poulets pour le souper.

Ce système permet au voyageur de découvrir un des aspects de la société d’accueil visitée en profondeur, et d’expérimenter un quotidien qui peut-être radicalement différent du sien. C’est aussi la possibilité de s’immerger dans la nature et de découvrir cette activité souvent méconnue et pourtant tellement essentielle qu’est l’agriculture. Pour les fermiers, cela permet de faire connaître et mieux comprendre leurs activités, leur quotidien et les enjeux qui y sont liés. C’est également un coup de main qui est le bienvenu dans le travail jamais fini de la ferme. En particulier dans des exploitations dont la taille et les choix de fonctionnement ont pour conséquences des rendements qui ne permettent pas l’engagement d’employés.

Notes :

  • [1] Duterme Bernard,  « Expansion du tourisme international : gagnants et perdants », Alternatives Sud, Vol XIII, 2006/3, Centre Tricontinental, Syllepse.

    [2] Notons que nous parlons ici essentiellement du tourisme « longue distance », non du tourisme de proximité qui ne soulève pas forcément les mêmes enjeux et peut, sous certaines conditions, être considéré comme plus durable étant donné la limitation des déplacements et la relative symétrie économique et culturelle entre visiteur et visité.

    [3] Le tourisme auquel nous faisons référence dans cet article est celui des personnes issues de pays développés se rendant dans des pays en développement. Les enjeux se posent différemment par rapport aux pays dits développés.

    [5] Il s’agit d’un réseau mondial où les membres proposent d’accueillir gratuitement chez eux des voyageurs pour quelques nuits (www.couchsurfing.com).

    [6] Nous parlons ici d’agriculture écologique et non biologique, car de nombreuse fermes qui pratiquent une agriculture soutenable ne sont pas pour autant labélisées « Biologiques » (notamment parce que la labélisation a un coût que ne peuvent se permettre de petites exploitations) mais font néanmoins partie des fermes où il est possible de pratiquer le Wwoofing.

    [7] La permaculture vise à créer un écosystème productif en nourriture ainsi qu’en d’autres ressources utiles, tout en laissant à la nature « sauvage » le plus de place possible.