En Question n°153 - juin 2025

Dialogue et Diversité : un espace de rencontres interculturelles par et pour des femmes à Bruxelles

Comment bâtir des ponts entre personnes de cultures et confessions différentes à Bruxelles ? Mari Sol Pérez Guevara raconte l’expérience transformatrice de Dialogue et Diversité, un espace de parole interculturel né après les attentats du 22 mars 2016.

crédit : Curated Lifestyle – Unsplash

Dimanche matin. Des femmes de Molenbeek, Auderghem, Uccle et d’autres communes de Bruxelles quittent leur domicile pour participer à la rencontre organisée par Dialogue et Diversité[1]. Qu’est-ce qui les motive à renoncer à une matinée en famille pour vivre une rencontre avec des femmes d’autres confessions religieuses, certaines inconnues, d’autres déjà amies de cœur ?

Le désir d’une rencontre en humanité, d’entamer une conversation profonde et pleine de sens avec des femmes que nous ne croiserions probablement pas dans nos activités quotidiennes et dont nous avons tant à apprendre, l’expérience de la sororité dans laquelle toute expression d’émotion est accueillie, l’atmosphère si chaleureuse qu’elle nourrit le corps… Les motivations sont variées, mais nous savons toutes que chaque rencontre de Dialogue et Diversité nous transforme en tant que personnes et que, d’une certaine manière, nos rencontres transforment aussi un peu le monde. 

Le groupe a vu le jour après les attentats terroristes du 22 mars 2016 à Bruxelles. Deux amies, Nehama et Sharon, ont lancé l’initiative dans le cadre des activités du European Jewish Community Center[2]. Leur objectif était clair : créer des ponts entre les communautés, inviter à une rencontre accueillante qui permet de grandir dans la connaissance mutuelle. Le groupe a commencé en 2017 et, depuis lors, il n’a cessé de se réunir et de se transformer. Notre dernière rencontre, le 22 mars 2025, a consisté en un Iftar (rupture du jeûne musulman) auquel ont participé 50 femmes.

Au cours des premières années, nous avons bénéficié du soutien professionnel de Stéphanie Lecesne de l’équipe du CEJI (A Jewish Contribution to an Inclusive Europe)[3] pour structurer les réunions. L’une des clés du succès du groupe réside dans les règles claires et précises auxquelles nous adhérons toutes avant chaque réunion : je viens pour comprendre, pas pour convaincre ; je parle à la première personne ; j’affirme que ne pas être d’accord est une situation acceptable pour moi ; quand une personne parle, toutes les autres écoutent. Ce sont des règles simples, mais elles fournissent le cadre et la sécurité nécessaires pour pouvoir parler de tout, absolument de tout, même des sujets qui polarisent notre société, comme le « couvre-cheveux » dans les différentes religions ou, plus récemment, la souffrance des victimes des attentats terroristes du 7 octobre 2023 en Israël et la souffrance des victimes de la guerre à Gaza. 

Les ateliers de Dialogue et Diversité sont également l’occasion d’explorer nos propres freins au dialogue interreligieux et interculturel. Comme Stéphanie Lecesne le rappelle souvent, nous avons toutes quelque part des préjugés latents. Il suffit que nous soyons touchées à certains endroits de notre être ou de nos existences, pour que nos préjugés s’activent. Les rencontres de Dialogue et Diversité sont donc aussi une opportunité pour la connaissance de soi et la croissance personnelle de chacune.

Dans l’un des nombreux ateliers auxquels j’ai participé, nous avons exploré le concept des « identités multiples ». Chacune a écrit cinq identités qui lui sont propres, puis l’animatrice les a rassemblées et les a lues une par une. Chaque participante se levait lorsqu’elle s’identifiait à l’une des identités. Pour moi, cela a été une prise de conscience énorme de la facilité et de l’erreur que représente le fait de réduire une personne à une identité sociale, religieuse ou autre. Je partage des identités avec tous les êtres humains. En partant de là, il devient beaucoup plus facile de dialoguer avec des personnes sur d’autres identités qui nous différencient (et qui nous enrichissent en même temps). En ce sens, je suis convaincue que nous pouvons faire partie de communautés multiples. Dialogue et Diversité est une communauté de femmes qui partagent le désir et l’engagement pour un monde et une ville dans lesquels nous pouvons toutes et tous vivre ensemble. 

Il est évident que le conflit israélo-palestinien a ébranlé les relations au sein du groupe, mais l’amitié, l’affection et la confiance qui s’étaient tissées auparavant nous ont permis de poursuivre nos rencontres et notre dialogue. Certaines femmes de Dialogue et Diversité ont constitué un groupe belge de soutien à deux ONG de femmes, l’une palestinienne et l’autre israélienne, qui luttent pour la paix dans cette région du monde ensanglantée : Women of the Sun[4] et Women Wage Peace[5]. Ensemble, elles ont lancé un « Appel des mères » (Mother’s call[6]) demandant une résolution pacifique du conflit. Le pape François a signé cette pétition en mai 2024[7].  

Je souhaite à celles et ceux qui liront cet article de goûter à la joie profonde du dialogue interreligieux et interculturel. Je ne pourrai jamais assez remercier Nehama et Sharon pour le mouvement qu’elles ont mis en marche avec idéalisme et autant de réalisme !

Notes :