Dans le sillage des grands « tracts de la NRF » qui parurent dans les années 1930, la stimulante collection Tracts Gallimard publie de brefs essais destinés à éclairer le débat contemporain, en s’efforçant de concilier distance critique de l’intellectuel et engagement dans la cité. C’est à cette exigence que répond avec brio Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste française, dans un bref pamphlet en faveur d’une vision humaniste de la vulnérabilité.
En partant du postulat que la fragilité est constitutive de la condition humaine et non spécifique aux malades et infirmes, l’auteure invite non à nier mais à « faire quelque chose de nos limites intrinsèques et de nos manques ». Davantage qu’un fardeau stérile, la vulnérabilité est ici conçue comme une occasion : occasion de mettre en place de nouveaux usages, de réinventer des normes de vies, occasion d’acquérir des compétences et des savoirs, etc. Et c’est bien là que réside tout l’enjeu du soin selon Cynthia Fleury : transmuer la tare en occasion de création. Elle exhorte ainsi à sortir d’une vision exclusivement déficitaire de la vulnérabilité, réduisant le patient au statut de victime, au profit d’une approche « capacitaire ». Un soin véritablement humaniste veillera à ce que la vérité (en l’occurrence, le diagnostic médical) « n’affaiblisse pas le sujet », mais au contraire le « renforce dans sa quête de traitement », en l’aidant à « consolider ses capacités ».
La philosophe plaide dès lors pour inscrire les humanités au cœur de la pratique du soin, afin d’ « envisager la ‘vérité’ dans toute sa complexité, notamment relationnelle ». La création d’une chaire de philosophie à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris, à son initiative, nourrit cette ambition : elle vise à pallier la faible présence des sciences humaines et sociales dans la formation initiale et continue des médecins et à favoriser « un regard critique sur le fonctionnement des institutions, afin qu’elles puissent continuer de rénover leurs pratiques et élaborer le meilleur soin possible pour les soignés et les soignants ».
Ce texte incisif et bien à-propos en cette période de mise sous pression du milieu hospitalier prouve que l’exercice de pensée peut avoir des retombées concrètes et salutaires : réintroduire une réflexion humaniste dans le domaine du soin ne constitue pas un « supplément d’âme » cantonné au débat académique, mais bien un moyen de gagner en qualité et en efficacité dans le soin des patients. De même, envisager, grâce à la philosophie, la souffrance, la douleur, la maladie – les nôtres comme celles d’autrui – comme étant « inséparables d’une nouvelle puissance régénératrice des principes et des usages » peut s’avérer profondément libérateur.
Manon Houtart