En Question n°153 - juin 2025

Qu’est-ce que l’antiwokisme ?

Couverture de l'épingle

Faisant suite à une journée d’étude interuniversitaire, le dossier de La Revue Nouvelle[1]  aborde l’antiwokisme sous divers aspects[2].

Le wokisme n’est jamais clairement défini par ses détracteurs, et par ailleurs, personne ne s’en revendique. Mais s’en prendre aux wokes permet d’amalgamer, pour les disqualifier, toute une série de groupes défenseurs de minorités.

Parmi les cibles principales des antiwokistes, on trouve pêle-mêle les défenseurs des migrants, les critiques du colonialisme, les féministes ; mais aussi les militants LGBT, ou les défenseurs de l’environnement et du climat (y compris les scientifiques, et tout spécialement le GIEC).

Exploitant les grands classiques de la rhétorique de propagande (amalgame, hyperbole, analogie grossière…), le discours antiwoke dresse du « woke » un portrait effrayant : sectaire (le wokisme serait une « religion »), totalitaire (et même « stalinien »), le woke serait aussi imperméable à l’humour, et ses comportements relèveraient finalement de la maladie mentale (par exemple chez les « éco-anxieux pathologiques »).

Dans cette rhétorique manichéenne, le personnage du woke est en fait une figure de l’ennemi, ce qui fait de lui un avatar du terroriste et de l’islamiste. Censé infecter particulièrement les universités, le wokisme représenterait une grave menace pour ces valeurs cardinales de la civilisation occidentale que sont la Démocratie, la Liberté, les Lumières[3].

Le discours antiwoke permet ainsi à la droite extrême de se positionner comme modérée, et d’instiller son lexique et ses thématiques dans le vocabulaire usuel. En même temps, il conforte la légitimité de la censure et de la répression (ce dont témoigne l’actuel acharnement de Trump à faire taire « les wokes », spécialement dans les universités).

Centré particulièrement sur la Belgique francophone, le dossier de La Revue Nouvelle rappelle la polémique qu’a provoquée en 2023 le document consacré par le Centre Jean Gol (centre d’études du MR, parti libéral-conservateur) au « totalitarisme woke ». Un article intéressant est également consacré à l’antiwokisme en Flandre, et notamment à sa rhétorique. Il rappelle entre autres la place centrale qu’a prise la dénonciation du wokisme dans la campagne du Vlaams Belang et de la NV-A en 2024.

Plus largement, le dossier présente des aperçus instructifs sur la géographie de l’antiwokisme – c’est un phénomène mondial – et son histoire, notamment lexicale (depuis ses ancêtres maccarthystes jusqu’à la récente stigmatisation de l’« islamo-gauchisme »).

Multipliant les analyses éclairantes, les auteurs proposent une approche du phénomène « antiwoke » qui est à la fois synthétique, précise et nuancée.

Vincent Vancoppenolle


[1] Le texte de présentation du dossier, dû à Martin Deleixhe et David Paternotte, est accessible à l’adresse https://revuenouvelle.be/quest-ce-que-lantiwokisme.

[2] Un autre ouvrage sur le sujet : Alain Policar, Le wokisme n’existe pas : la fabrication d’un mythe, Bord de l’eau, 2023. Avec une postface de jean-Yves Pranchère qui évoque l’antiwokisme en Belgique.

[3] Selon les trumpistes, le wokisme serait même… antisémite !