C’est mon avis, et je le partage
Parmi les multiples questions fondamentales qui taraudent l’être humain, « comment se faire un avis ? » devrait figurer au même rang que « pourquoi vivons-nous ? », « qu’est-ce qu’une vie ? » et « y a-t-il une vérité ? », et pourtant elle saute bien moins souvent à l’esprit. C’est qu’on a tendance à penser qu’on a un avis parce que c’est le bon, et que les autres se trompent pour la bonne raison que leur avis est mauvais. Le constat, en général, ne va pas plus loin, « c’est mon avis et je le partage » tenant lieu – hélas – de leitmotiv imparable.
Certes – et fort heureusement –, il peut arriver que l’on change d’avis après avoir été convaincu par un argument, mais soyons de bon compte : c’est plutôt rare. De même, on se forge parfois une opinion après une analyse pondérée des différents points de vue en présence, mais là aussi, c’est plutôt rare. Et si on change parfois d’avis en suivant un débat, là encore, c’est plutôt rare. En général, on applaudit par principe – ou par habitude – son champion, on s’indigne des propos de ses adversaires, et on se dit : mon champion a raison, et les autres ont tort ; ce qu’il dit est vrai, les chiffres qu’il invoque sont les bons ; voilà pourquoi je pense comme lui.
C’est que notre avis nous définit tant, qu’il est si profondément ancré en nous, qu’il se confond si fort avec notre identité, que notre cerveau a un mal fou à ne pas le confondre avec la vérité. Une vérité dont on pense qu’elle nous guide, alors que nous l’avons choisie, et pas toujours consciemment. Ce qui pose cette question vertigineuse : d’où viennent nos opinions ? Bien souvent, et sans s’en rendre compte, nous réfléchissons par mimétisme, ou par sympathie pour des gens. Ou alors par rupture, par défiance à l’encontre d’idées de gens qui nous ont déçus. Mais (et je vous demande de réfléchir là-dessus) est-il possible de se faire un avis sans se faire un avis sur l’avis des autres ? C’est-à-dire sans fantasmer le point de vue adverse ? Question ouverte. Vous avez vingt minutes.