En Question n°141 - mai 2022

Prendre soin de l’invisible

crédit : Matheus Ferrero – Unsplash

Notre système actuel est fait de matière. Son cœur a été créé lors de la révolution industrielle, alors que nous construisions les usines. Ces usines qui prennent des matièrespremières pour construire des objets matériels. Tout autour de nous, les grandes industries, les machines, les pubs pour vendre les produits, les programmes de partis politiques, ont tous été créés autour de cette matière, de ce qui est quantifiable et tangible, de ce que nous pouvons toucher, porter, vendre et acheter. Jamais sur ce que nous pouvions ressentir.

C’est donc tout à fait normal que le système ait oublié que nous ne sommes pas faits uniquement de matière. Nous avons besoin de confort et d’être en bonne santé afin de vivre ce corps de matière que nous habitons, mais nous avons également besoin d’écouter et de préserver d’autres besoins – tout aussi essentiels – d’invisible, pour être réellement heureux : l’amour, la joie, l’entraide, la collaboration, l’empathie, la bienveillance, le sens, le lien. 

Lorsque l’on étudie le burn-out, lorsque l’on côtoie, comme je l’ai fait (comme nous l’avons tous fait, en réalité, le burn-out étant aujourd’hui omniprésent), des personnes en burn-out, en les écoutant réellement, on peut faire un lien clair entre les phases par lesquelles elles passent et le deuil : la sidération, la colère, la dépression, le marchandage et finalement l’acceptation d’une nouvelle situation, d’être une nouvelle personne dans une nouvelle vie. Mais si le burn-out est aujourd’hui un problème sociétal, et s’il est de plus une forme de deuil, la question que l’on doit se poser est bel et bien: « de quoi notre société est-elle aujourd’hui en train de faire le deuil ? »

Nous sommes aujourd’hui en train de faire le deuil, justement, de ce système, obsolète, qui nous a menti à bon ou mauvais escient, avec sa morale de bonheur lié au confort matériel par la compétition. Et cet éveil douloureux nous permet de nous rendre compte aujourd’hui, enfin, que travailler ne peut pas se cantonner uniquement à nourrir notre partie matérielle tout en nous empêchant de prendre soin convenablement de nos besoins fondamentaux d’invisible. Il est aujourd’hui nécessaire de remettre en question ce conte qui a prouvé sa nocivité, et de rentrer dans la phase d’acceptation de cette nouvelle personne dans une nouvelle ère, celle basée sur une boussole intérieure qui nous montre notre juste place, celle qui a du sens à nos yeux et un impact positif sur notre environnement et nos concitoyens.