Puissance de l’imaginaire
Mars 2020 : comme beaucoup de parents, je me retrouve à combiner vie familiale et télétravail (mes filles ont à l’époque 4 et 2 ans). Je garde de cette période un certain nombre de très mauvais souvenirs. Mais il me reste des choses positives également. Notamment une gratitude, renouvelée et affermie, à l’égard des enseignants : ma fille aînée avait besoin d’être stimulée et entourée par d’autres personnes que celles de sa petite cellule familiale.
Décembre 2021 : l’école de mes filles ferme pour une semaine. La situation sanitaire me permet de vivre une autre expérience : celle d’assister ma fille (tout juste 6 ans alors) pendant une semaine dans ses « cours en ligne ». Chaque matin, pendant une heure, son institutrice apparait dans une petite case, de même qu’une partie de ses camarades de classe. Cette absurdité aurait mérité un billet d’humeur en soi. C’est autre chose que je veux mettre en avant : le pouvoir des enseignants sur l’imaginaire des enfants.
Cette semaine-là, une des leçons est consacrée aux signes > (supérieur ou « plus grand ») et < (inférieur ou « plus petit »). Vous vous souvenez ? 5 < 8 et 5 > 3. J’entends l’instit expliquer à un enfant : « Que préfères-tu ? 2 bonbons ou 8 bonbons ? Vers quoi vas-tu tourner les bras ? » Et de continuer : « Et toi ? Que préfères-tu ? 3 amis ou 10 amis ? ». Ben oui, pardi, quel enfant ne préfèrerait pas 8 bonbons à 2 bonbons ?
Cela m’a laissée perplexe. Est-ce que plus est forcément préférable à moins ? Est-ce nécessairement vers le plus qu’il faut tourner les bras ? Dans cet imaginaire, même les amis, il faut les accumuler. Un petit dialogue avec ma fille m’a permis d’exprimer, à hauteur d’enfant, que plus n’est pas nécessairement préférable. Qu’on peut tourner les bras vers le moins, le suffisant, la modération, la frugalité.
Cette expérience m’invite à questionner le sens de simples choses que l’on dit ou fait sans trop y penser. C’est très puissant, un imaginaire ! Chacun.e, nous avons une responsabilité d’en inventer un autre que celui imposé par la société de consommation : un imaginaire où le suffisant serait désirable. Cela m’a aussi fait prendre conscience du précieux pouvoir des enseignants et, partant, de l’école dans ce travail indispensable pour une transition écologique et sociale. Merci à vous, enseignant.e.s qui prenez ce défi à cœur.