Manifeste pour une écologie populaire
Ce dossier a mis en lumière de nombreuses inégalités présentes dans nos sociétés et exacerbées par les bouleversements écologiques. Alors que les populations les plus pauvres et vulnérables polluent le moins, elles sont les plus touchées par les inondations, les sécheresses, les famines et les pollutions, et elles disposent de moins de moyens d’adaptation. Ces inégalités ne sont pas naturelles, elles découlent de l’organisation sociale, économique et politique de nos sociétés humaines. Elles constituent autant d’injustices qu’il est matériellement possible et moralement nécessaire de combattre.
Si elle est sérieusement prise en main, la transition écologique représente une double opportunité de combattre ces injustices. D’une part, lutter contre les dérèglements climatiques et les dégradations de l’environnement devrait permettre d’éviter des drames qui frappent l’humanité, et en premier lieux les personnes les plus précarisées. D’autre part, changer de mode de vie, de consommation et surtout de production, serait l’occasion de réduire les inégalités et de permettre à chacune et chacun de vivre dignement.
À rebours des forces conservatrices et réactionnaires qui agitent l’épouvantail d’une « écologie punitive » pour justifier l’inaction, nous prônons une écologie populaire, émancipatrice et mobilisatrice, basée sur six critères.
1.Politiser l’écologie
Deux écueils reviennent régulièrement au sujet de la transition écologique : renvoyer, parfois avec une certaine indécence, les individus à leurs (seuls) « petits gestes » et croire, souvent avec une profonde naïveté, que « la technologie » (seule) va tout résoudre. Si les comportements individuels et les innovations technologiques peuvent en partie contribuer à réduire nos empreintes écologiques, ils nous détournent de l’essentiel : « poser la question écologique sur le plan politique », et tout particulièrement en ce qui concerne « les décisions d’investissement et de production », comme le plaide Matthias Petel. « Les politiques menées ne peuvent pas […] laisser les personnes seules face à des décisions individuelles de transition. Les formules mises en place doivent être collectives », abonde Christine Mahy. C’est une des raisons pour laquelle la proposition de sécurité sociale de l’alimentation (SSA) portée par le CréaSSA est intéressante. « Sa force, c’est qu’elle va à l’encontre de l’idéologie actuelle du tout au marché et du tout à la responsabilité des individus », estime ainsi Céline Nieuwenhuys.
2.De manière transversale
« Tout est lié », comme le répète inlassablement le pape François au sujet des crises écologiques et sociales (Laudato si’). Raisonner et œuvrer par silos est généralement contre-productif. En particulier, « considérer la réduction des inégalités dans le champ des politiques climatiques comme un élément qu’il faudrait traiter en second et à la marge, constitue une erreur fondamentale d’analyse du problème », avertit Christine Mahy, qui plaide pour inscrire la transversalité au cœur de nos actions collectives et politiques. Dans un état d’esprit similaire, Fatima Ouassak œuvre, par ses écrits et son engagement de terrain, à la convergence des luttes écologistes, sociales, féministes, antiracistes et internationalistes.
3.À partir des marges
C’est à partir des populations fragilisées et des personnes vivant dans des quartiers précarisés et des campagnes délaissées, et avec elles, qu’il est nécessaire de penser la transition et de s’y engager. « [Elles] sont les mieux placé[e]s pour orienter les politiques vers des changements qui n’accentueront pas leurs difficultés, comme trop souvent. […] Contrairement à la croyance répandue dans certains cénacles, [elles] s’intéressent au climat et à l’environnement », témoigne Christine Mahy. « L’écologie ne peut pas fonctionner si les habitants qui habitent la terre ravagée ne peuvent pas eux-mêmes la défendre », abonde Fatima Ouassak, qui exhorte donc le mouvement écologiste à développer une pensée écologique provenant des marges, en leur permettant de s’ancrer dans un territoire, à partir d’un lieu, comme Verdragon.
4.Investir massivement dans la transition
« Il est bien établi que le coût de l’inaction est nettement plus élevé que celui de la transition, qu’il pèsera plus sur les pauvres que sur les milieux aisés et que ce sont les générations futures qui paieront nos refus de modifier nos comportements », prévient Christian Valenduc. Pour réussir la transition juste, il est nécessaire que l’État investisse massivement. « Il doit investir en offrant aux plus faibles des opportunités d’améliorer leur quotidien tout en allant dans le sens de la lutte contre le dérèglement climatique », selon Christine Mahy. La bonne nouvelle, c’est que cette transition est finançable, selon l’Institut Rousseau. Dans son rapport Road to Net Zero, il estime le besoin de financement à environ 2,3% du PIB européen chaque année, jusqu’en 2050. « C’est la moitié des subsides européens en faveur des énergies fossiles, qui détruisent notre habitat et auxquelles il est urgent de mettre fin », souligne Gaël Giraud, qui propose « un Green New Deal au sein de la zone euro, financé en partie par la BCE (Banque centrale européenne) et en partie par des banques privées ‘purgées’ de leurs actifs fossiles ».
5.Réformer la fiscalité
Un autre levier important à disposition de l’État pour réussir une transition juste est celui de l’impôt. Bien conçue, dans sa globalité et selon le critère de justice sociale, une réforme fiscale pourrait soutenir une écologie populaire, en allouant une partie importante de ses recettes aux investissements (réellement) verts, en incitant des changements de consommation et de production et en redistribuant mieux les richesses. Deux pistes concrètes sont proposées (ou relayées) par Christian Valenduc : au niveau national, « financer les subventions nécessaires par une taxation progressive des patrimoines » ; au niveau international, financer le fonds « pertes et dommages » (créé lors de la COP28) « par quelques points supplémentaires sur le taux d’imposition minimal des entreprises multinationales et par une taxation annuelle de 2% sur les hauts patrimoines au niveau mondial ».
6.Faire rêver
« Comme c’est important de rêver ensemble ! », proclame souvent le pape François (Fratelli tutti). Dans son essai Pour une écologie pirate, Fatima Ouassak utilise comme référence un manga où des pirates aspirent à une ère de liberté et d’aventure. De cette manière, elle touche un public jeune et populaire, et fait appel au rêve comme levier du changement. En effet, si le mouvement écologiste veut réellement changer la société, il doit pouvoir se nourrir d’histoires inspirantes et susciter un avenir désirable. Et permettre aussi, à chacune et chacun, de « venir avec tout ce qu’on peut », y compris « notre rapport à Dieu, au vivant », soutient la politologue et militante française. Claire Joassart, par son témoignage, montre bien que la spiritualité peut être une source puissante d’engagement pour l’écologie et la justice sociale.