En Question n°139 - décembre 2021

« C’est un privilège de pouvoir se soucier de la nature » :

rencontre avec Joachim d’Otreppe, en Ardenne

« N’oubliez pas vos bottes ! »… Nous voilà prévenus ! Ce matin d’août 2021, nous quittons Bruxelles et notre zone de confort pour les fins fonds de l’Ardenne, en pleine nature. Notre destination : Cierreux, petit village d’une centaine d’habitants – bien moins que le nombre de vaches ou de cervidés aux alentours – dans la commune de Gouvy, non loin des Cantons de l’Est de la Belgique. À la rencontre de Joachim d’Otreppe, jeune de 28 ans, indépendant, expert forestier de profession, agriculteur, éleveur, permaculteur, guide nature et éducateur de passion.

Joachim d’Otreppe dans la prairie des moutons – crédit : Centre Avec

À notre arrivée, Joachim n’est pas seul à nous accueillir. Sur ses épaules, un pigeon, que notre hôte a recueilli il y a quelques années, tombé du nid, qu’il a soigné et nourri, et qui le suit désormais partout. « Je vous présente Édouard, il est gentil, même s’il mordille un peu ». Le ton est donné, il sera léger et drôle, doux et piquant. Le cadre, lui, est bucolique. Nous sommes dans une petite cour, entourés de bâtiments datant de la fin du XVIIe siècle, construits en pierres de grès et de schiste, bois de chêne et enduits à la chaux, et plusieurs potagers, vergers, bêtes et pâtures.

Joachim nous propose de découvrir les lieux. Il nous emmène d’abord à la bergerie, où sont abrités deux brebis avec leurs petits agneaux, nés dans l’année, avec l’aide de notre hôte. Ici, on évite les vermifuges, (presque) tout est bio. Et circulaire. « Les moutons sont le début et la fin de la chaine. Le fumier est utilisé comme engrais pour le potager, les moutons nous nourrissent et on vient de récolter du foin pour eux. En plus, la laine de mouton sert aussi d’isolant ». En passant par le poulailler, il ajoute un élément du cycle : « les poules sont des vermifuges naturels, puisqu’elles mangent les vers dans la prairie des moutons ». Avant de nous montrer le compost qui ravit les poules et lui sert aussi de terreau pour le potager. « Ce tas de fumier, c’est une richesse ! ».

Après avoir salué l’âne, ‘Baleur’ de son prénom, direction le potager, réparti en trois. Tout est foisonnant, mais bien organisé ! « Le potager, c’est le petit paradis de chacun. Moi, j’aime bien quand c’est ordonné. Mais c’est la nature qui fait son œuvre, nous, on est juste là pour la guider ». Et il y a de quoi… Ici, on trouve de tout : légumes (blettes, courgettes, butternuts, artichauts, potirons, haricots, oignons, échalotes, choux, carottes, poireaux, chicons, salades, radis et tomates – aux semences variées), pommes de terre, herbes aromatiques, arbres fruitiers (pommiers, poiriers, pruniers, figuiers, mûriers, noyers et noisetiers), une mare aux canards, et même un rondin de bois pour accueillir les abeilles… Le tout est inspiré de la permaculture et alimenté par une citerne à eau de pluie. « Mon objectif, c’est de ne pas mettre une goutte d’eau du robinet dans mon potager ».

Revenons-en à nos moutons… Pendant que les agneaux sont à l’abri avec leurs mères dans la bergerie, six autres brebis gambadent dans la prairie. Joachim nous emmène à leur rencontre. « Certains donnent un numéro à leurs bêtes, moi je préfère leur donner un prénom ». Lorsqu’il les appelle, Quissa, Noisette, Quenouille, Ricotta et compagnie rappliquent en courant. Et se font caresser généreusement la tête. « Souvent, le soir, je viens m’assoir près des brebis, et elles viennent près de moi. Parfois, elles mettent leur tête sur mes jambes. Ça, c’est la définition du bonheur ». Et les béliers dans tout cela ? « Ils tondent l’herbe… Ici, pas besoin de robot-tondeuse ! »

Après cette visite matinale au grand air, Joachim nous invite à l’intérieur pour partager un bon repas au coin du feu : une soupe aux courgettes et un gratin de pommes de terre et de courgettes – du jardin, bien évidemment ! On en profite alors pour le cuisiner…

Pouvez-vous nous résumer votre parcours et nous dire comment vous en êtes arrivé là ?

Je vis dans ce village depuis tout petit. Au début, on vivait un peu plus bas dans la vallée, au bord d’un ruisseau, au milieu des bois. Ça m’a profondément marqué. Nous sommes quatre garçons – je suis le petit dernier – et nos parents nous laissaient partir dans le bois et revenir avec des égratignures, sans avoir peur. Pour cela, je les remercie beaucoup. On était très libres, tout le temps dehors et souvent livrés à nous-mêmes. On s’est fait beaucoup de bobos, mais c’est ça qui nous a construits.

Le fait d’avoir vécu au milieu de la nature, à côté des bois, m’a orienté vers des études axées sur l’environnement. Après un graduat en agriculture et environnement à Huy, j’ai poursuivi à Gembloux en réalisant une passerelle et un master en bioingénieur (ingénieur des eaux et forêts). Là encore, je remercie mes parents, car j’ai toujours été libre dans mes choix, bien conseillé, mais libre.

Entre mon graduat et ma passerelle, je suis parti pendant quelques mois faire du woofing[1] en Italie. C’est là-bas que j’ai redécouvert la joie de m’occuper de potagers. Cela m’a aussi donné envie de changer certaines choses en Belgique. L’une des familles qui m’a accueilli était végétarienne, donc j’ai été végétarien pendant quelques mois. J’ai perdu 9 kilos, mais j’ai appris énormément de choses, notamment au niveau du potager, où tout était en permaculture. J’y ai aussi découvert l’aquaponie, les maisons en paille, etc. Ils faisaient tout par eux-mêmes, donc c’était très instructif. J’ai ramené en Belgique beaucoup de choses, des acquis et des matériaux, comme des semences. Ces quelques mois à l’étranger m’ont plus apporté que toutes mes années d’études ici.

Le fait d’avoir été livré à moi-même, d’avoir eu l’occasion de réfléchir et de lire, en particulier le livre de Pierre-Hervé Grosjean ‘Aimer en vérité’, ça m’a bouleversé. Et puis, la découverte d’une autre culture, en étant plongé dans la vie de familles italiennes, ça m’a beaucoup porté. C’est là-bas que je me suis dit que j’avais envie de devenir expert forestier – ce que je viens de devenir, donc ça a bien marché.

En quoi consiste votre travail d’expert forestier ?

Je suis indépendant pour une société coopérative, qui regroupe des propriétaires privés, qui en sont les coopérateurs, un peu partout en Belgique. En tant qu’experts forestiers, notre rôle est de conseiller. Pour le moment, notre travail consiste essentiellement en de la gestion de maladies. Peu de gens réalisent à quel point la forêt est malade… Mais nous, on ne voit plus que ça.

Quelles sont ces maladies ?

Vous avez sans doute entendu parlé des épidémies de scolytes, sur les épicéas. Chez les frênes, il y a la chalarose, qui est arrivée d’Asie en Pologne, puis s’est propagée dans toute l’Europe. Les chênes, eux, font face à la chenille processionnaire, qui est remontée chez nous depuis la France. La maladie de Lyme, via les tiques, augmente aussi.

Comment expliquer les causes de ces maladies ?

Une première cause, ce sont les échanges commerciaux, les transports de marchandises et de personnes. Beaucoup d’insectes nous viennent notamment d’Asie, à cause d’objets qu’on importe de là-bas, mais aussi de personnes qui ramènent des maladies exotiques, par exemple via une plante dans leur valise, ou via leurs chaussures, après s’être simplement baladé dans les bois d’un pays étranger. Or, nos arbres ne sont pas habitués à côtoyer ce genre de maladies, donc ça crée énormément de dégâts chez nous. Maintenant, quand on achète des arbres et des plantes, il faut donc toujours bien regarder le passeport phytosanitaire.

Une deuxième cause importante, c’est évidemment le changement climatique, avec des maladies qui remontent du Sud et une augmentation conséquente des stress pour les arbres. Par exemple, un épicéa est normalement en mesure de contrer une attaque de scolytes, en rebouchant naturellement les trous d’entrée des scolytes avec de la résine, mais le problème c’est qu’il manque d’eau, donc il n’a pas assez de résine pour contrer les attaques. Une autre conséquence du réchauffement climatique, c’est que les bioagresseurs se reproduisent davantage et plus rapidement, et sont donc plus nombreux pour attaquer les arbres. En outre, les inondations et la stagnation d’eau durant l’hiver empêchent les arbres de bien respirer par les racines. Ces bouleversements affaiblissent donc les arbres qui – comme nous quand on est fatigué – attrapent plus facilement des maladies. Dans la forêt, les bouleversements climatiques, c’est donc très concret et visible !

Et comment on gère cela quand on est expert forestier ?

On n’arrive malheureusement pas bien à gérer ces phénomènes pour le moment. C’est pour cela que les marchés se sont effondrés et qu’on traverse une crise du bois. Les conseils principaux qu’on donne, c’est de bien tenir compte du sol, de planter des essences qui conviennent au type de sol et de diversifier un maximum, pour ne pas « mettre tous les œufs dans un même panier ».

Il faut faire en sorte qu’il y ait encore du bois plus tard pour continuer à faire de belles charpentes comme celle que vous voyez là, qui est ici depuis des centaines d’années. C’est un des meilleurs moyens de lutter contre le réchauffement climatique, car c’est du carbone qui est stocké, qui n’a pas été brulé, qui est toujours là dans le bois et qui n’est pas dans l’air. C’est pour cela que c’est très important de gérer les forêts ‘en bon père de famille’, durablement, de couper des arbres et de les transformer localement. Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, c’est la plus belle chose qu’on puisse faire : couper des arbres et replanter après.

Pourquoi est-ce si intéressant de couper et de replanter, d’un point de vue climatique ?

Une forêt gérée durablement – c’est-à-dire une forêt où on privilégie les éclaircies, en coupant les arbres au bon moment pour laisser la place à d’autres, comme on le fait avec les plantes dans un jardin potager, intelligemment, avec un œil d’expert en sylviculture qui connait les arbres et les processus – va stocker plus de carbone qu’une forêt naturelle, où l’humain n’intervient pas. Parce qu’un jeune arbre, durant sa croissance, va capter beaucoup plus de carbone qu’un vieil arbre, qui ne grandit plus. C’est pourquoi, pour celui qui vit près de la forêt, c’est plus intéressant de brûler du bois de chauffage local que d’aller pomper des énergies fossiles aux fins fonds du monde et de les faire venir ici, par bateau et en camion. Parce que c’est un processus neutre, si la forêt est gérée durablement. L’arbre va stocker du carbone, on le relâche, puis il y a un autre arbre à la place qui va le stocker, et pendant ce temps-là, on peut se chauffer.

On sent que vous êtes passionné. Qu’est-ce qui vous anime tant ?

J’ai trois maîtres-mots qui m’animent. D’abord, la nature, qui comprend la forêt, le potager, les prairies, les bêtes… Ensuite, le travail, surtout manuel et de la terre. Et enfin, l’éducation – enjeu qui m’intéresse de plus en plus et pour lequel j’ai envie de consacrer encore davantage de temps.

Mon potager, c’est mon petit coin de paradis. Mon travail dans la nature, dans la forêt, souvent seul, en silence, me permet de beaucoup réfléchir, penser, méditer et m’émerveiller – d’un plant qui porte des fruits, d’un arbre qui fait des belles pousses, de la pluie qui fait du bien aux légumes, etc. Comme tout le monde, j’essaie de faire de mon mieux pour rendre les choses meilleures ou plus belles. J’aime aussi me dire qu’il y a quelque chose de plus grand là-derrière. Cela, c’est ma foi.

Toutefois, je dois bien avouer que je ne suis pas très académique dans la pratique de ma foi. En effet, je ressens bien plus de joie et de bien à être seul dans une forêt, où je m’émerveille, qu’en étant dans une église bondée, où je suis distrait par les gens… C’est sans doute mon côté un peu ermite. J’ai mes petits lieux de méditation et d’émerveillement dans la nature.

Est-ce que vous considérez que votre engagement est nourri par votre foi ?

Oui, mon engagement envers les autres est aussi nourri par ma foi, et par des figures de foi qui m’inspirent, comme Guy Gilbert ou Tim Guénard, qui mêlent l’élevage, le maraichage et l’éducation. Et évidemment, ma foi, et le fait de m’émerveiller, me pousse à vouloir prendre soin de la Terre, dans mon travail. Cependant, je dois dire que je n’ai pas toujours apprécié la façon avec laquelle des personnes qui partagent pourtant la même religion que moi se positionnaient – négativement – par rapport à la nature et au climat. J’attendais sans doute trop d’eux, car c’est évident pour moi qu’on est tous issus de la Création, mais je n’ai jamais trouvé les réponses que j’espérais de leur part.

Heureusement, entretemps, il y a eu l’encyclique Laudato si’ du pape François et d’autres qui lui ont emboité le pas et qui m’offrent des réponses à mes questionnements. Enfin, un dirigeant – et pas n’importe qui… le pape ! – mettait en avant les problèmes du climat et de l’environnement ! J’étais très content qu’il en parle, et de cette manière-là, mais j’ai aussi été déçu des réactions de certains, qui n’ont pas réservé un bon accueil à cette encyclique…

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ? Les doutes auxquels vous devez faire face ?

Je me sens souvent différent. Je ne veux pas mener la même vie que beaucoup de gens que je connais. Je ne me reconnais pas dans cette société qui nous pousse à l’individualisme, à gagner un maximum d’argent et à se mettre en avant en montrant cet argent, par ses objets, sa voiture, etc. Donc, parfois, je me remets en question, je me dis que je suis complètement fou ! Mais le fait de retourner dans une prairie ou dans un bois me rassure sur ma vocation. Être indépendant me permet aussi de combiner mes rêves, dont peut-être celui de devenir agriculteur, en reprenant une petite prairie tout près d’ici.

Cependant, je me pose souvent la question du temps. Est-ce que je veux donner plus de temps aux autres, accueillir des gens chez moi, créer une ferme pédagogique… ? Dans notre société, les activités qui peuvent créer beaucoup de bien autour de soi – comme les métiers d’enseignant ou d’agriculteur – ne sont malheureusement pas toujours bien reconnus, pas assez mis en valeur. C’est souvent difficile financièrement de pouvoir se lancer dans ce genre d’activités pourtant pleines de sens… J’admire les gens qui ont réussi à y aller, à se lancer dans le maraichage et d’autres projets comme cela…

Une autre difficulté pour moi, c’est de voir l’indifférence de beaucoup de personnes au sujet du changement climatique. Ce matin encore (ndlr : le 9 août 2021), j’ai lu des articles sur le dernier rapport du GIEC, et c’est absolument hallucinant ! Mais le pire, c’est que les gens ne réagissent pas ! Personnellement, je suis hyper alarmiste, mais paradoxalement hyper positif. Cela me fait du bien de lire ces informations, d’être lucide et alarmé, parce que ça me donne envie d’agir. D’autres préfèrent faire l’autruche, ou sont inquiets et paralysés – ce que je comprends – mais il y a encore beaucoup trop de gens qui ne se rendent pas compte de l’ampleur du phénomène. Même ici, aux fins fonds de l’Ardenne, où on voit les effets du réchauffement climatique, sur les élevages et les cultures… C’est cette indifférence qui est difficile pour moi, et contre laquelle je me bats ! Et je pense que c’est une difficulté pour beaucoup de jeunes qui se demandent que faire pour avoir un réel impact sur le climat, pour servir à quelque chose. Mais il y a plein de possibilités, et l’éducation en est une fameuse !

Personnellement, j’essaie d’abord de me focaliser sur ma petite vallée de quelques kilomètres-carrés, sur ma commune, en essayant de sensibiliser, en écrivant des lettres, en réagissant face à certains projets néfastes pour l’environnement. C’est mon petit coin de paradis que j’ai pris sous mon aile, que j’ai envie de protéger, et sur lequel j’essaie d’avoir de l’impact.

Vous avez mentionné l’éducation à plusieurs reprises. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

C’est le scoutisme qui m’a ouvert les yeux sur la problématique de l’éducation. Je dis « problématique » car j’ai le sentiment qu’on n’a pas les armes pour guider suffisamment les enfants, surtout les adolescents, face aux enjeux d’aujourd’hui. D’une part, il est souvent plus facile de confier son enfant à un écran pour qu’il se calme que de l’emmener dehors. D’autre part, il me semble que beaucoup de parents veulent que leurs enfants leur ressemblent et suivent la même route qu’eux. Je remercie les miens d’avoir seulement cherché à m’ouvrir des portes, et non à m’imposer un chemin tout tracé.

C’est l’idée, me semble-t-il, de la parabole de la maison bâtie sur le roc (Matthieu 7, 24-27). Le rôle des parents est de guider, rassurer, accompagner leurs enfants, mais pas de leur imposer leurs propres choix. Donc, baser sa maison sur le roc, c’est offrir des fondations fortes, de manière à être bien au chaud à la maison lors des tempêtes et de pouvoir partir lorsqu’il fait beau, à la découverte du monde. « Va et je t’attends, reviens quand il le faut et quand tu en as besoin ! ».C’est peut-être une des clés de l’éducation : aider les enfants à s’épanouir en les laissant tracer leur propre voie.

Dans un récent entretien dans le journal La Libre, Louis Saillans insiste sur l’importance pour les enfants de prendre des risques, de se blesser, d’aller au-delà de soi-même, de « les laisser partir faire du skateboard dans la rue sans casque et sans protection ». Cela rejoint ce que disait aussi Baden Powel – qui m’inspire beaucoup – dans sa dernière lettre : « Ce n’est ni la richesse, ni le succès, ni la satisfaction égoïste de nos appétits qui créent le bonheur. Vous y arriverez tout d’abord en faisant de vous, dès l’enfance, des êtres sains et forts qui pourront plus tard se rendre utiles et jouir de la vie lorsqu’ils seront des hommes ». À cet égard, je pense que le scoutisme joue un rôle très important.

Qu’est-ce qui vous a tellement marqué dans le scoutisme ?

En 2012, j’ai rejoint le staff d’une troupe scoute qui intègre des jeunes en situation de handicap, à la 50e unité Reine Astrid, à Louvain-la-Neuve. Cette expérience m’a marqué à vie – je suis d’ailleurs encore engagé dans le staff d’unité ! Je me souviens de mon premier jour : j’étais très gêné, je ne savais pas comment saluer un jeune en chaise roulante… Et puis, très vite, tous mes a priori sont tombés et, maintenant, on se sent tellement à l’aise qu’on blague réciproquement sur nos différences. Ce contact avec le handicap est merveilleux et m’apprend énormément. Ça m’a aussi fait réaliser la chance que j’ai de pouvoir utiliser tout mon corps, mes mains, mes jambes… Et ça m’a fait prendre pleinement conscience qu’on n’est jamais à l’abri d’un handicap, soi-même, ses proches, ses enfants… D’où l’importance d’être ouvert à la différence, pour l’autre mais aussi pour soi-même.

Cette expérience du scoutisme avec le handicap a changé mon approche de l’écologie, qui était avant cela surtout centrée sur l’environnement. Aujourd’hui, je défends davantage une « écologie intégrale », qui prenne en compte les dimensions sociales et humaines de la crise que nous vivons. J’ai été conforté dans cette idée lorsque je suis allé dans les bidonvilles à Manille (aux Philippines) en janvier 2020 pour rendre visite à mon frère et ma belle-sœur qui vivaient une année de volontariat. Là-bas, les gens vivent dans la misère, au milieu des déchets.

En voyant cela, je me suis dit que c’était un privilège de pouvoir se soucier de la nature. Le fait d’en parler ici confortablement, autour d’un bon repas, c’est une discussion de privilégiés. Je comprends tout à fait que des gens qui sont dans une mauvaise posture financière, qui subissent les inondations, n’ont pas le temps ni l’énergie de s’occuper de l’environnement et de sensibiliser. Moi, j’ai ce privilège, donc je me dois d’utiliser cette chance pour prendre soin de la nature, et faire découvrir ses trésors aux gens qui m’entourent.

Concrètement, comment sensibiliser à la protection de la nature ?

Ma petite expérience montre que ça fait souvent un bien fou aux enfants de quitter leurs écrans pour passer du temps dans la nature. Les plus âgés aussi, d’ailleurs. Tout le monde a besoin de ce lien au vivant. Je garde en tête des images de visages rayonnants d’amis, d’enfants du village ou de scouts, après une journée passée au grand air, à faire un feu et à mettre les mains dans la terre… La recette du bonheur, c’est d’avoir de la terre sous les ongles ! Grâce au scoutisme, j’ai développé un contact positif avec les adolescents, notamment en jouant le rôle du guide nature. J’ai vu que cela portait ses fruits, que transmettre de la joie, c’est aussi une manière de sauver la planète. Les enfants, les jeunes et même les adultes ont besoin d’être dans les bois, de vivre des moments dans la nature, de faire des feux de camp, d’observer la pleine lune et les étoiles… pour aimer la nature, y revenir et vouloir la protéger. Un autre aspect important, pour sensibiliser, c’est de mettre en place une communication positive. Par exemple, ce qui marche bien ici, c’est tout simplement d’expliquer aux gens où ils peuvent aller dans les bois pour respecter la nature, en donnant des indications, en mettant des panneaux d’information. C’est tout simple mais c’est reçu très positivement. Je ramasse beaucoup de déchets dans les bois, mais je n’en ai jamais trouvé aux endroits où on a mis des panneaux « passage bienvenu ».

Notes :

  • [1] Terme emprunté de l’acronyme anglais ‘WWOOF’ (World Wide Opportunities on Organic Farms). Il s’agit d’une pratique qui consiste à travailler bénévolement sur une exploitation agricole et biologique, en échange du gîte et du couvert.