En Question n°146 - septembre 2023

Notre diversité est une chance… mais l’unité est encore à trouver

Trouver l’unité en reconnaissant la diversité comme un jalon indispensable du monde de demain. Voilà sans doute un des principaux défis de l’école du 21ème siècle.

Pour préparer les nouvelles générations aux défis inédits qui les attendent, il y a aujourd’hui la nécessité d’offrir aux acteurs de l’éducation de nouveaux repères, non seulement pour redonner du sens aux apprentissages, mais aussi et surtout pour retrouver une direction commune capable de mobiliser positivement des groupes sociaux partageant des réalités et des visions du monde parfois très différentes et de plus en plus souvent présentées comme en opposition.

Au sein de l’association Graines de Soi, nous essayons d’offrir aux jeunes des repères pour qu’ils puissent trouver leur place au sein d’une société en transition. Nous avons à cœur de nous adresser à tous les publics. Et nous pouvons en témoigner : il est urgent de construire un récit qui mobilise tous les jeunes en s’appuyant directement sur leur diversité : diversité socio-culturelle, diversité des talents, diversité des tempéraments…

Graines de soi
L’ASBL Graines de Soi a été créée en 2015 à l’initiative de trois enseignants de l’Institut de l’Assomption à Boitsfort. L’association s’inscrit dans le prolongement de la pédagogie des établissements de l’Assomption : amener les jeunes à identifier leurs capacités et leurs aspirations pour répondre positivement aux défis de leur époque, avec engagement et lucidité.

Installée aujourd’hui au sein de l’écolieu du château de Fisenne (Ardenne belge), l’ASBL propose des entretiens individuels, des formations et des séjours pour aider les jeunes adultes (16-35 ans) à trouver des repères pour dessiner une vie en cohérence avec les transitions actuelles.

En huit années d’existence, l’ASBL Graines de Soi a petit à petit mis au point une boîte à outils de l’orientation dans un monde en transition (intitulée One Life !?), celle-ci se compose d’outils de connaissance de soi, de sensibilisation, de propositions de formation et d’expériences à vivre mettant en jeu des savoir-être et des savoir-faire utiles pour pouvoir traverser notre époque.

www.orientation-grainesdesoi.com

L’unité dans l’adversité

Face à l’effondrement de la biodiversité, aux effets de la pollution, au réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources, pour la première fois dans l’histoire, l’humanité doit affronter des problèmes gigantesques, largement documentés et communs à tous les continents. Pour y faire face, les nouvelles générations vont devoir mobiliser des compétences diversifiées en fonction des périls à traverser.

Devant les catastrophes annoncées ou bel et bien déjà là, l’école peut devenir un jalon essentiel pour nourrir l’unité dans l’adversité. Les jeunes plus que jamais ont besoin de comprendre ce qui se passe, non pas comme un énième chapitre à étudier par cœur en vue d’une évaluation, mais parce qu’ils ont besoin, pour construire leur vie, de repères et d’espérance.

Depuis plusieurs décennies, l’école a tendance à courir après les évolutions de société. Aujourd’hui, elle peut à nouveau se donner pour mission de les devancer. Sans vouloir convaincre, l’école peut, dans son fonctionnement interne et dans ce qu’elle montre aux élèves, prouver qu’il est possible aujourd’hui de manger, de se déplacer, d’habiter, de vivre ou de décider autrement : par des séjours réguliers au sein d’écolieux, par une cantine en lien direct avec les producteurs locaux, en impliquant directement les élèves dans la transformation écologique du bâtiment, en invitant des professionnels, des élus, des citoyens à venir témoigner de leurs convictions écologiques[1], en s’associant directement à des tiers-lieux qui expérimentent très concrètement la transition. L’école peut ainsi faire découvrir aux élèves des personnes et des projets qui mobilisent l’intelligence, la collaboration et l’innovation dans une logique de solution.

Même si de nombreuses écoles sont déjà sur cette voie, il manque souvent une mise en récit des efforts écologiques de l’établissement à la hauteur de ce qui nous arrive. L’écologie dans une école ne peut plus être présentée comme un à côté : un chapitre, un projet, une sortie, un spectacle… mais comme étant au cœur de la vie scolaire, comme un défi à relever au quotidien à l’aide des derniers éclairages de la science et de toutes les bonnes volontés. Cette mise en récit peut se faire par l’exposition régulière des obstacles que l’école va devoir surmonter dans les trente années à venir en mettant en évidence tous les choix et les efforts mis en œuvre pour y répondre. L’état de la biodiversité des jardins de l’école, la production énergétique des panneaux solaires, la quantité d’eau économisée sur une année sont autant d’informations qui peuvent être mises à la disposition de tous comme la preuve que des choix intelligents débouchent sur des résultats concrets, susceptibles d’être analysés et évalués en classe.

Pour réussir à trouver cette « unité dans l’adversité » au sein du corps professoral, pour que les enseignants puissent réaliser l’importance de leur mission face à la crise écologique, il est important de trouver le ton juste. En ce sens, la proposition faite par la plateforme The Week[2] semble particulièrement pertinente.

L’idée est de pouvoir, sur une semaine, regarder en équipe trois vidéos d’une heure faisant le point sur l’avenir qui se dessine à l’horizon 2050. Recourant à une présentation particulièrement sensible (comme une discussion entre amis sur l’avenir des enfants qui leur sont proches), ces vidéos touchent davantage que des documentaires plus classiques sur l’écologie. Chaque participant est invité à dire l’âge qu’il aura ou celui de ses enfants en 2050, tout en étant encouragé à expliquer son ressenti face au tableau dramatique qui se dessine dans les décennies à venir. L’expérience, particulièrement forte, fait prendre conscience concrètement, que la crise écologique sera bientôt une réalité de plus en plus tangible, et qu’elle doit pouvoir nous mobiliser comme jamais auparavant. The Week s’adresse à des publics très différents et parvient à nourrir le lien entre les participants en évitant de tomber dans un débat clivant sur les solutions à mettre en place.

Si la majorité des professeurs sont aujourd’hui conscients des crises écologiques à venir, peu d’entre eux vivent leur travail comme une réponse directe à celles-ci. Sur un bateau qui prend l’eau, le propos de The Week fait comprendre aux enseignants qu’ils ont la mission d’expliquer concrètement aux jeunes ce qui leur arrive. Qu’ils peuvent les encourager à chercher ce qui leur permettra de colmater les brèches, les motiver à construire des canots de sauvetage, les inciter à explorer une île où il sera encore possible d’accoster.

crédit : Freepik

La diversité au cœur des solutions

On sait aujourd’hui qu’il ne sera pas possible de trouver l’unité sans reconnaître et harmoniser, chez les enseignants, les élèves et les familles, la diversité qui colore les écoles et toute la société aujourd’hui.

Comment trouver un moyen de réconcilier les points de vue pour mieux se mettre en mouvement devant les catastrophes ?

Le modèle de la Spirale dynamique offre une approche intéressante qui permet de reconnaître que nous ne sommes pas tous au même endroit en même temps et que nous ne répondrons pas tous de la même manière aux problèmes qui sont devant nous. Chez Graines de Soi, nous utilisons cette approche en entretien individuel ou en groupe afin d’aider les jeunes adultes à identifier le système de valeurs qui nourrit leurs envies et leurs choix de vie, pour ensuite mieux définir le sens et les valeurs qu’ils souhaitent pouvoir déployer dans leurs études ou leur futur métier.

La Spirale dynamique explique l’évolution de la société humaine comme une succession d’étapes au cours desquelles l’humanité a progressivement changé de croyances, de valeurs et de styles de vie. Dans ce modèle, l’évolution des convictions d’une personne est présentée comme étant intimement liée au contexte dans lequel elle a grandi et aux informations qu’elle a pu avoir à sa disposition[3].

Dans la Spirale dynamique, chaque vision du monde et chaque système de croyances comporte ses avantages et ses inconvénients, et tous sont subtilement complémentaires.

La Spirale dynamique met ainsi en lien huit manières d’être au monde, représentées par huit couleurs différentes qui se succèdent en spirale :

  • Garantir ma survie individuelle dans l’instant présent. Je suis dirigé par mon instinct de survie. (Beige)
  • Garantir ma survie en prenant soin de ma famille et de ma communauté (les enfants, les personnes âgées, les personnes malades) tout en entretenant une relation profonde avec la nature. Je suis dirigé par mes liens d’attachement. (Mauve)
  • Affirmer ma force dans un contexte de violence physique ou symbolique. Je suis dirigé par la volonté de défendre mon identité personnelle. (Rouge)
  • Affirmer mes valeurs et mes croyances en une religion, une philosophie, un groupe social dont les règles structurent ma vie. Je suis dirigé par mon sentiment d’appartenance et par la défense de mon identité collective. (Bleu)
  • Être heureux en parvenant à garantir mon confort matériel et en obtenant du succès. Je suis dirigé par mon besoin de réussite. (Orange)
  • Être heureux en me réalisant dans une vie qui me ressemble et m’épanouit. Je suis dirigé par mon besoin d’épanouissement. (Vert)
  • Répondre aux besoins du monde en prenant en compte ses problèmes systémiques. Je suis dirigé par l’urgence climatique et environnementale. (Jaune)
  • Sacrifier mon intérêt personnel pour répondre aux besoins du monde. Je suis dirigé par l’amour du prochain. (Turquoise)

Chaque étape de la spirale concerne, d’une certaine manière, chaque individu mais dans des proportions très différentes en fonction de son âge et de ses conditions de vie.

La période chaotique dans laquelle nous entrons risque, c’est déjà le cas à certains endroits, de nous inviter à mobiliser des manières d’être au monde assez différentes selon les circonstances. Lors des dernières inondations catastrophiques de 2021, les habitants de la vallée de la Vesdre ont dû mobiliser presque tous les étages de la Spirale dynamique, dans leur version positive : leur instinct de survie (beige), une attention toute particulière aux personnes fragiles et sans ressources (mauve), une certaine forme de courage physique face au danger (rouge), un sentiment d’appartenance qui motive la solidarité (bleu), une efficacité et un grand professionnalisme dans l’aide mise en place (orange), un accompagnement psychologique pour certaines personnes traumatisées (vert), une prévention intelligente des futures inondations (jaune) et, dans tous les cas, beaucoup d’amour et de don de soi au cœur de la catastrophe (turquoise).

Face aux catastrophes annoncées, serait-il possible dès lors de prendre la Spirale dynamique comme une colonne vertébrale capable de redonner du sens à notre enseignement ? Cette proposition offre des perspectives intéressantes. En veillant à ce que tous les élèves puissent être nourris dans chacune des couleurs du modèle, l’école pourrait rejoindre chaque jeune dans sa réalité propre tout en proposant une approche éducative particulièrement complète.

Les écoles qui s’orienteraient dans cette direction seraient amenées à composer des équipes d’enseignants diversifiées comprenant des personnes capables de témoigner et de former à chacune des couleurs de la spirale : apprendre à survivre (beige), apprendre à prendre soin (mauve), apprendre à se battre (rouge), apprendre le respect de valeurs communes et le sens d’un règlement (bleu), trouver et développer ses talents (orange), apprendre à partager ses besoins et ses émotions (vert), comprendre les problèmes dans leur dimension systémique (jaune) et gagner en confiance dans la vie (turquoise) sont autant de compétences à valoriser et entrainer si on part du principe que chaque couleur de la spirale témoigne d’un aspect essentiel de l’existence.

En partant de ce nouveau principe, l’école serait en mesure d’adapter ses apprentissages aux enjeux du 21ème siècle, elle pourrait surtout redonner du sens à la diversité des formations et des expériences en soulignant la complémentarité de vécus et d’apprentissages très différents.

Au milieu du brouhaha actuel, de belles histoires s’écrivent déjà dans ce sens. Quand, dans un projet, une pièce de théâtre ou tout simplement le quotidien de la classe, un enseignant est capable d’harmoniser la diversité des élèves et de nourrir l’unité dans l’adversité, c’est alors que l’école devient un laboratoire particulièrement ajusté pour construire le monde de demain.

Notes :

  • [1] L’ASBL EFDD (Éducation et Formation au Développement Durable) propose une série d’animations, d’informations et d’accompagnement pour aider les écoles à devenir actrices de la transition (www.efdd-asbl.org/).

    [2] The Week est un projet initié par un couple belge : Frédéric Laloux et Hélène Gerin. https://www.theweek.ooo.

    [3] Le concept de Spirale dynamique a été développé par Don Beck et Chris Cowan sur la base des théories du psychologue Clare W. Graves qui s’est penché pendant plus de 40 années sur les systèmes de valeurs motivant les choix et le style de vie des personnes.