FAM (Forum Asile et Migrations, coordination de 120 associations), et devant l’urgence de la situation, la présente analyse voudrait rappeler brièvement les actions des sans papiers, dire qui ils sont, se demander pourquoi ils souhaitent être accueillis dans les églises et enfin réfléchir sur ce que peut signifier, pour les chrétiens et les communautés chrétiennes, accueillir les sans papiers. Elle se base entre autres sur la réflexion menée par une cinquantaine de personnes le 24 avril dernier, dans le cadre d’une journée sur l’accueil des sans papiers dans les églises, organisée à l’initiative de la plate-forme « Chrétiens solidaires ».

" />
Le 10 juillet 2008

Accueillir les sans papiers

En continuité avec la réflexion menée depuis de nombreuses années par le Centre Avec[1], entre autres via son implication dans le FAM (Forum Asile et Migrations, coordination de 120 associations), et devant l’urgence de la situation, la présente analyse voudrait rappeler brièvement les actions des sans papiers, dire qui ils sont, se demander pourquoi ils souhaitent être accueillis dans les églises et enfin réfléchir sur ce que peut signifier, pour les chrétiens et les communautés chrétiennes, accueillir les sans papiers. Elle se base entre autres sur la réflexion menée par une cinquantaine de personnes le 24 avril dernier, dans le cadre d’une journée sur l’accueil des sans papiers dans les églises, organisée à l’initiative de la plate-forme « Chrétiens solidaires »[2].
 

De mars à juin 2006, de nombreux sans papiers furent accueillis dans des églises. Certains de ces accueils se sont prolongés bien au-delà. Les actions menées par les sans papiers ont repris de plus belle en 2007 et 2008, pendant que s’éternisaient les négociations de l’Orange bleue et que se mettait enfin en place le gouvernement Leterme. L’accord de gouvernement, conclu le 18 mars dernier, a donné l’espoir d’une solution. La ministre de la politique de migration et de l’asile, Mme Annemie Turtelboom, promettait pour le mois de mai une circulaire d’application. Mais à l’heure qu’il est, nous ne voyons toujours rien venir. Devant le silence du gouvernement et de la ministre responsable, il nous semble nécessaire de continuer à interpeller le monde politique et la société civile au sujet de la question des sans papiers.

Le mouvement des sans papiers
 

L’accueil de sans papiers dans les églises n’est pas un phénomène nouveau. Depuis le milieu des années 80, avec la reprise des migrations et les aléas de la politique belge en matière d’asile, des occupations d’églises ont eu lieu sporadiquement, liées parfois à des grèves de la faim. On peut rappeler notamment l’occupation de l’église Sainte Croix à Ixelles par 300 Afghans lors de l’été 2003. Une nouvelle vague, impliquant plus de trente églises, ainsi que d’autres lieux publics dans tout le pays, se développa entre mars et juin 2006 ; certaines durent encore ; d’autres ont repris récemment. La persistance du phénomène est manifestement liée à l’absence de décision politique à l’égard de nombreuses personnes qui, pour de multiples raisons, se trouvent en situation irrégulière et dépourvues de tous droits.

Qui sont les sans papiers ?
 

Il y a sans doute toujours eu des sans papiers dans notre pays. Chaque immigration régulière est entourée d’une zone de personnes entraînées par le mouvement sans avoir droit de séjour.  Mais le problème actuel remonte au milieu des années 80, quand l’immigration officiellement stoppée dix ans plus tôt a repris par le biais de la demande d’asile. La procédure instituée par la loi du 14 juillet 1984 était complexe ; les instances chargées de l’appliquer tardèrent à se mettre en place, de sorte que dès le début d’énormes retards furent enregistrés. Avec l’effet que des personnes se voyaient priées de quitter le pays après des années de séjour et une insertion avancée. Une opération de régularisation a eu lieu en 2000, dont environ 40.000 personnes furent bénéficiaires. Mais les retards ont recommencé à s’accumuler. La situation est devenue endémique. Autour de ce noyau de demandeurs d’asile déboutés, s’agglomère une nébuleuse de personnes aux statuts les plus divers dont beaucoup n’ont jamais été en situation régulière mais qui n’en sont pas moins implantées, souvent depuis longtemps dans le pays. Depuis quelque années, les sans papiers ont commencé à s’organiser : l’Union de Défense des Sans Papiers (UDEP) née en 2004 sera la cheville ouvrière du grand mouvement d’occupations d’églises qui se déclenche au printemps 2006.

Les sans papiers dans les églises
 

Pourquoi ces personnes demandent-elles à être accueillies dans les églises ? Ce n’est sans doute pas totalement sans lien avec l’antique tradition du refuge dans un lieu sacré. Mais les occupants d’aujourd’hui ne se cachent pas, ils s’exposent plutôt, leur démarche en appelle à l’opinion publique, afin d’agir sur les autorités dans une société démocratique. L’église, lieu public et de rencontre, est aussi un endroit qui inspire le respect et exprime une sorte de protection ; ils y trouvent une dignité. Mais ce qui a caractérisé un bon nombre des occupations d’églises qui eurent lieu en 2006 et depuis, c’est qu’elles furent vraiment un accueil, impliquant les communautés paroissiales ou en tout cas un grand nombre de leurs membres, des associations, l’« Assemblée des Voisins et Voisines », etc.

Sur la question de principe, les évêques de Belgique ont pris clairement position, notamment en 2006. Ils déclarent comprendre « que certains sans papiers recourent à des ‘occupations d’églises’ pour porter leur détresse à l’attention du grand public ». Ils acceptent que cela se fasse, « si les responsables locaux ont donné leur accord ». L’objectif est de « donner un signal fort », qui ne peut être interprété comme « une forme de chantage moral de l’Église sur les politiciens.  La régularisation des personnes sans papiers est avant tout une question politique. Elle demande donc une réponse politique… Il s’agit également d’un drame humain et celui-ci est l’affaire de tous »[3].

Vivre l’accueil
 

Pour la décision d’accueillir, les évêques renvoient aux communautés locales et à leurs responsables. La décision n’est pas facile. L’irruption de cet imprévu dans la vie des communautés est toujours dérangeante ; l’accueil pose des problèmes pratiques, d’hygiène, de sécurité, de relations. Mais ce qui ressortait de la journée de réflexion organisée le 24 avril dernier, c’est que pour beaucoup l’expérience s’était avérée à terme très positive. À travers les aléas de l’accueil et la gestion commune d’une situation exceptionnelle, ils ont découvert, non seulement des détresses mais des personnes avec leur richesse humaine. Les sans papiers sont au cœur de notre société le signe vivant de l’injustice du monde ; par leur courage, leur obstination à chercher une vie meilleure, ils sont aussi un signe d’espérance. Beaucoup de ceux qui les ont accueillis ont été par eux sensibilisés à l’engagement citoyen, en coude à coude avec des « voisins » de toutes appartenances. L’expérience enfin a des répercussions sur la vie même de la communauté. Elle a fait apparaître combien une communauté où les responsabilités sont partagées par un grand nombre était mieux à même d’assumer cette forme imprévue de « diaconie », de service.

Les apories de l’accueil et l’exigence évangélique
 

L’accueil peut conduire à des apories. Je pense surtout aux grèves de la faim. Tant les évêques en général que les responsables locaux, dans les cas particuliers, se sont prononcés contre cette action extrême qui met en danger la santé, voire la vie des personnes qui l’entament. Elle est condamnée par diverses autorités publiques et hommes politiques qui y voient un insupportable chantage. Il serait criminel d’y pousser, voire seulement d’y engager des autres. Mais la personne qui estime se trouver dans une situation assez grave pour justifier ce risque doit être traitée avec respect et accompagnée avec sollicitude. C’est ce que plusieurs responsables de communautés en divers lieux ont été amenés à faire ; ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas, dans ces moments d’extrême tension, se retirer en se lavant les mains, même au nom de justes principes.

Il n’y a pas de solution miracle au problème des sans papiers. On ne supprimera pas du jour au lendemain les inégalités du monde, même s’il faut s’y employer sans délai. Mais nous ne pouvons fermer les yeux et boucher nos oreilles à leur présence au milieu de nous et à leur cri. L’accueil dans les églises est finalement une forme parmi d’autres, privilégiée il est vrai, de la solidarité active des chrétiens avec les « réfugiés et immigrés parmi nous » à laquelle invitait la lettre des évêques de Belgique en 1995. Nous sommes renvoyés à la vérité de l’Évangile : « j’étais étranger et vous m’avez accueilli ».  

Aujourd’hui, il est urgent d’agir ! Du côté des sans papiers, de leurs leaders et de leurs alliés, des voix se sont récemment élevées pour mener des actions responsables. On attend que le gouvernement s’engage de façon juste et effective. Comme le demande le FAM dans un communiqué de presse du 31 juillet, il faut qu’il adopte dans les plus brefs délais une circulaire contenant des critères clairs[4].

Notes :

  • [1] À ce sujet, voir Occuper les églises pour obtenir l’asile, Centre Avec, septembre 2006.

    [2] Les actes de cette journée et tous renseignements la concernant peuvent être obtenus au Centre Avec, rue Maurice Liétart, 31, bte 4, tél.02/738 08 28, secretariat@centreavec.be

    [4] Rappelons également l’interpellation récente de l’épiscopat de Belgique, qui souligne que « La crise politique que traverse notre pays ne doit pas faire oublier le désarroi de nombreux sans-papiers ». Au nom des évêques de Belgique, le cardinal Godfried Danneels a quant à lui appelé le monde politique à tout mettre en oeuvre pour que se dégage dans les meilleurs délais une politique de régularisation « réaliste, juste et généreuse » (voir La Libre Belgique des 16 et 17 juillet 2008).