Le contrat de quartier, l’outil anti-inégalités ?
En 2019, le dispositif des contrats de quartier a fêté ses 25 ans d’existence dans la région bruxelloise. C’est l’occasion de revenir sur une initiative qui a apporté son lot de merveilles en permettant de redynamiser et de revitaliser d’anciens quartiers bruxellois. Nous le verrons cependant, cette dernière manifeste aujourd’hui, et depuis un certain temps déjà, quelques signes de faiblesses. En effet, après un quart de siècle de bons et loyaux services, le contrat de quartier ne répond plus, dans son état actuel, aux objectifs pour lesquels il avait été mis en place, à savoir apporter des solutions à des problématiques urbaines telles que la pauvreté ou encore l’exclusion.
L’origine du contrat de quartier
En 1989 naît la région de Bruxelles-Capitale et avec elle, de manière presque simultanée, ce nouveau dispositif qu’est le contrat de quartier. L’initiative revient au gouvernement de l’époque porté par son Ministre-Président Charles Picqué. À l’origine, l’objectif était de résoudre, sur une période d’une quinzaine d’années, la question de la dualisation à Bruxelles. En d’autres termes, il s’agissait de mettre en place un plan d’action censé réduire le clivage physique et social de Bruxelles et ainsi améliorer l’attractivité d’une ville qui subissait l’exode urbain des classes moyennes. Pour Mathieu Berger, sociologue et spécialiste de la question, « l’idée derrière tout ça, était de sauver Bruxelles en la revitalisant. C’était un geste un peu héroïque, voire radical, de renouveau ».
Cette nouvelle approche se distingue des politiques précédemment entreprises par son caractère dit ‘intégré’ qui ne prend plus uniquement en compte un seul aspect d’une situation donnée, à savoir la rénovation urbaine par exemple, mais qui inclut de nouvelles mesures. Mathieu Berger relève dans son dernier ouvrage quatre mesures introduites par ce dispositif[i]. La première mesure concerne les acteurs qui s’investissent dans la mise en place du projet. Même « si la Région et les communes restent les principaux acteurs du partenariat, celui-ci est ouvert au CPAS (Centre public d’aide sociale), aux organismes d’intérêt public, aux investisseurs privés, ainsi qu’aux habitants du quartier »[ii]. Le contrat de quartier est aussi « élargi au profit d’une politique de quartier ». Ensuite, les actions menées, à savoir « les opérations de construction ou de rénovation de logements sont à présent associées à la requalification des espaces publics et à des actions visant la cohésion sociale ». Pour finir, la réflexion et la mise en place du programme sont limitées à une durée de quatre années, éventuellement prolongeable de deux années.
Fonctionnement et bilan
Un contrat de quartier est établi entre la Région et la commune. Sa mise en place comprend une phase d’élaboration qui dure environ un an. Durant ce laps de temps, un bureau d’études réalise, à la demande de la commune, un diagnostic approfondi du quartier répondant au cahier des charges de la Région. Il propose ensuite un programme d’action. Après cette phase d’élaboration, vient la phase de mise en œuvre du programme. Celle-ci dure normalement quatre ans, mais peut être prolongée de deux ans pour finir les travaux.
Précisons à ce propos que, depuis 2010, on parle de ‘contrat de quartier durable’[iii]. La dimension environnementale a été ajoutée au contenu du programme afin de s’adapter aux exigences actuelles en matières d’écologie et de respect de l’environnement. Pour répondre à ce nouvel objectif, lors de la mise en place de chaque nouveau contrat, une attention toute particulière est donc portée entre autres aux performances énergétiques des bâtiments (économie d’énergie, gestion de l’eau, etc.).
Il est important aussi de ne pas confondre le dispositif du contrat de quartier avec le contrat de rénovation urbaine (CRU)[iv]. Ce dernier est supposé améliorer uniquement l’aspect physique d’un territoire ou d’une zone donnée.
Quoi qu’il en soit, en 25 ans d’application continue, ce dispositif aura permis de mener « environ 550 interventions sur le bâti, 1.730 logements rénovés ou créés, 130 équipements de proximité construits et 850 actions socio-économiques entreprises, c’est aussi tout un monde professionnel, associatif et citoyen qui s’est constitué autour de ce dispositif de revitalisation urbaine »[v]. Même si les chiffres peuvent paraitre impressionnants voire satisfaisants, la réalité est néanmoins un peu différente.
Freins et limites
Mathieu Berger explique, en effet, que plusieurs éléments limitent le bon fonctionnement global du contrat de quartier. En premier lieu, l’absence d’une culture de la coopération entre les différents acteurs de la brique et les acteurs socio-culturels est un frein à la réalisation de certains objectifs. La question de la compétence est peut-être un élément de réponse et de résolution de ce problème comme nous le verrons par la suite.
On observe aussi que, souvent, les projets de remise à l’emploi ont été limités à l’orientation vers la construction. Les jeunes en recherche d’emploi étaient alors orientés vers les métiers du bâti et, la plupart du temps, confrontés à des tâches pratiques de pavage, peinture, etc. Il semble évident qu’une confusion a parfois été opérée entre l’objectif réel du contrat de quartier et la remise à l’emploi.
Un autre problème soulevé est l’insistance stricte sur le bâti sans envisager d’autres possibilités. À Molenbeek, par exemple, on peut constater qu’un même lieu (ou presque) a déjà été rénové à deux ou trois reprises sans jamais se demander s’il était absolument nécessaire de le faire et s’il n’y avait pas une autre manière d’utiliser le financement alloué aux projets.
La limitation de ces programmes dans le temps, à savoir quatre ans pour chaque projet, peut aussi s’avérer être un frein à la mise en place de véritables actions sociales. Mais, de manière générale, il faut bien admettre que, en ce qui concerne le non bâti, on ne parvient pas à aller plus loin, à être transversal. C’était pourtant l’objectif à l’origine, lors du lancement du contrat de quartier…
Un dispositif en perte de vitesse
Après 25 ans de bons et loyaux services, les contrats de quartier ne remplissent vraisemblablement plus leur mission initiale de résolution de problématiques urbaines. Pour Mathieu Berger, une vraie réforme du contrat de quartier serait nécessaire. La période y est d’ailleurs propice puisque ce dernier est en perte de vitesse. En effet, c’était un outil qui convainquait par sa capacité à introduire des différences dans le territoire. Mais il a commencé à être appliqué de plus en plus machinalement chaque année sans réflexion sur les coûts ou la nécessité. On est donc passé d’une action censée être limitée dans le temps à un dispositif sans date d’échéance. Précisons qu’il n’est écrit nulle part que celui-ci doit être réitéré tous les ans. À l’origine, ce projet devait permettre de « régler en dix, quinze ans la question de la dualisation de Bruxelles par le traitement socio-urbanistique de quelques » poches d’exclusion » ou » noyaux durs » clairement identifiés »[vi].
Une routine s’est donc doucement installée, sans remise en cause du dispositif. Certes, celui-ci a été bien géré pendant 25 ans, mais est-il encore l’outil le plus adapté aujourd’hui ? Il a été créé pour répondre à des interrogations, des préoccupations des années nonante où Bruxelles tentait de se relever des affres de la ‘bruxellisation’[vii]. Aujourd’hui, le contexte a changé et ne cesse de changer et rarement de façon prévisible. Il est dès lors plus que nécessaire de se demander où nous plaçons nos attentes en termes de rénovation urbaine. En sachant aussi qu’il est trop ambitieux voire illusoire de penser pouvoir tout changer et de vouloir tout changer par la rénovation urbaine. Cette volonté absolue porte d’ailleurs un nom : le déterminisme environnemental.
Il va de soi qu’améliorer le cadre peut avoir un impact sur tout le reste et ce pourrait être pertinent si on pensait que c’est l’environnement global et non uniquement le bâti qui doit être modifié. Les résultats, toutefois, ne sont pas à la hauteur des espérances. Pour Mathieu Berger, on a seulement évité les slums (les ghettos) qui apparaissent quand la politique n’a plus d’espoir. En outre, si on mettait autant d’énergie et d’argent à intervenir dans les quartiers en pensant de manière globale sans uniquement penser brique mais aussi dialogue, environnement, sécurité, etc., l’impact serait différent. Il faudrait se donner la possibilité d’enquêter sur les enjeux réels sans chercher à faire du social avec de la brique. Pour notre intervenant, ce serait alors pousser l’intelligence du contrat de quartier plus loin. Mais pour ce faire, peut-être faudrait-il envisager aussi des collaborations interministérielles pour enrayer les conflits de compétences[viii]. Ces mêmes conflits qui empêchent les acteurs de la brique et du socio-culturel de collaborer ensemble et donc de fournir un travail de qualité où le fond et la forme se retrouvent concrètement associés.
Dans le même ordre d’idées, il serait intéressant, de parvenir à allier infrastructures et compétences humaines. En effet, l’une des conséquences positives dans la mise en place des contrats de quartier, c’est l’inventivité et la création de partenariats (Actiris, CPAS, Bruxelles-Propreté, le CBAI, Bruxelles-Environnement, …) à différents niveaux mais aussi la coalition d’acteurs ou encore l’implication de différents niveaux d’administration local régional, etc. Nous aurions ici une source d’action phénoménale et innovante.
Précisons cependant que la brique a un avantage non négligeable : sa visibilité. Elle apparaît beaucoup plus rentable aux yeux du politique préoccupé par le court terme et donc plus forte, contrairement au social, à l’économique ou encore à l’éducation par exemple, qui apparaissent moins rentables puisque moins visibles. Globalement, avec les contrats de quartier, nous sommes dans une conception à la française de l’intervention dans les quartiers. On pense que c’est en revitalisant et en rénovant des quartiers qu’on va résoudre tous les autres problèmes d’ordre socio-économique. On pourrait dire que la politique menée a été quelque peu naïve voire opportuniste sur le plan politique.
D’après Mathieu Berger, il faudrait trouver plus de souplesse dans l’utilisation des outils et sortir de cette idée stricte de la rénovation urbaine pour s’intéresser davantage aux personnes. Il pourrait être intéressant par exemple d’opter une année pour des contrats de quartier sociaux, une autre pour des initiatives en faveur des migrants en mettant par exemple en place des structures temporaires localisées (à Bruxelles Nord, etc.). Il faudrait de même déterminer les priorités et imaginer des contrats de quartier sociaux avec un aspect structurel en complément.
En résumé,
nous l’aurons compris, dans la mise en place de ce type de projet comme de tout
projet quel qu’il soit, il s’avère fondamental de penser de manière globale les
situations et la résolution des problèmes qu’elles comportent. Ceci s’avère tout
particulièrement important si l’on souhaite continuer à travailler avec cet
outil que représente le contrat de quartier. Gardons cependant à l’esprit que
nous ne sommes pas face à un outil ‘magique’ qui permettrait de résoudre tous
les problèmes qu’ils soient d’ordre social, environnemental, etc. Cet outil
n’est pas sans failles comme nous l’avons vu. Il est cependant un levier, qui
permet dans une certaine mesure, de lutter contre les inégalités et, à ce
titre, il convient d’oser le remettre régulièrement en question. En se
demandant s’il est toujours opérationnel ou s’il vaudrait mieux envisager sa
révision voire son remplacement[ix].
Notes :
-
[i] Mathieu Berger, Le temps d’une politique – Chronique
des contrats de quartier bruxellois, CIVA, 2019.[ii] Ibidem, p. 34.
[iii] Le contrat de Quartier Durable est un plan d’action limité dans le
temps et l’espace, conclu entre la Région, la commune et les habitants d’un
quartier bruxellois. Il fixe un programme à réaliser avec un budget défini
(voir le site http://quartiers.brussels/1/).
Le texte de l’Arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale relatif
aux Contrats de quartier durable figure sur le site http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2016112406&table_name=loi[iv] L’échelle d’intervention d’un Contrat de Rénovation Urbaine est plus
importante que celle des Contrats de Quartiers Durables. Elle concerne des
périmètres plus larges, des « super-quartiers » à
cheval sur plusieurs communes. Les CRU sont uniquement gérés par la Région (https://perspective.brussels/fr/projets/perimetres-dintervention/contrats-de-renovation-urbaine-cru).[v] Mathieu Berger, Le temps d’une politique – Chronique
des contrats de quartier bruxellois, CIVA, 2019, p. 12.[vi] Ibidem, p. 201.
[vii] On se
souviendra par exemple des travaux déployés en vue de faire du quartier Nord de
Bruxelles le nouveau Manhattan bruxellois.[viii] La compétence
de la brique revient à la Région et les autres compétences aux Communautés.[ix] Ce texte a été rédigé suite à une interview menée avec Mathieu Berger,
sociologue, professeur à l’UCLouvain.