Le 20 septembre 2023

Étude 2023 – Écologie : l’éducation est-elle dépassée ?

Introduction

Les défis écologiques nous mettent face au mur : les trajectoires de nos sociétés ne sont ni soutenables ni équitables. Un nouveau projet de société est nécessaire. Si nous sommes de plus en plus nombreux à en être convaincus, une question se pose : Sommes-nous formés pour faire face à ce qui nous arrive(ra) ?

Diverses institutions forment les êtres humains : l’école, l’université, les hautes écoles, les centres de formation, etc. Souvent, ces institutions influencent nos représentations et nos imaginaires et, partant, nos manières d’être citoyens, de nous engager et d’interagir dans la société. Si nous voulons changer de paradigme, il parait indispensable de transformer le système éducatif. C’est cette problématique que la présente étude prend à bras le corps. En donnant la parole à des experts académiques et des acteurs de terrains et en explorant des modèles et des outils pédagogiques innovants.

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Présentation

En ouverture, Laurent Lievens (sociologue, psychomotricien, ingénieur, chargé de cours Helha-CESA, UCLouvain-ESPO) pose le cadre : par nos manières d’habiter le monde, notre planète devient peu à peu inhabitable pour les humains. Il nous presse à gagner en lucidité quant aux bouleversements en cours et à venir. Dans ce contexte, une métamorphose est urgente, et celle-ci engage l’ensemble des systèmes éducatifs.

Ensuite, la contribution de Bernard Delvaux (sociologue de l’éducation, chercheur associé au Girsef-UCLouvain) nous plonge dans une réflexion sur l’imaginaire social, c’est-à-dire le socle sur lequel reposent les institutions de la société, notamment éducatives. Il propose de nouvelles manières d’articuler l’école et la société.

Pour comprendre et agir concrètement pour l’environnement à l’école, Julie Ghesquière et Lionel Lambert (collaboratrice et collaborateur à l’ASBL COREN) évoquent l’importance de l’accompagnement des écoles vers une transition écologique, notamment à travers les programmes « éco-teens » et« Ecoteam pour demain » et les labels « Eco-Schools » et « École durable ».

Suit un article de Catherine Dal Fior, Christel Dumas, Brigitte Hudlot et Martine Osterrieth (professeures et responsables à l’ICHEC). Elles nous font part des démarches déployées au sein de l’Institut catholique des hautes études commerciales (ICHEC) pour que leur école de gestion devienne un moteur de transformation de la société en faveur de la transition.

Luigi Russi (docteur en sociologie, chercheur postdoctoral en évaluation des pédagogies pour la Grande Transition) nous offre, quant à lui, ses réflexions sur la pédagogie mise en œuvre au Campus de la Transition, et nous invite à envisager la formation à la transition comme une expérience transformatrice.

Pour donner corps à cette invitation,Arthur de Lassus (ingénieur de formation, maraîcher et formateur) nous présente, à partir de son expérience, des ateliers pratiques de formation aux enjeux écologiques qui aident à gagner en lucidité et à nous situer comme acteurs et actrices de changement.

Enfin,Nicolas Gazon (enseignant et conseiller en orientation), nous propose de construire un récit qui mobilise tous les jeunes en s’appuyant directement sur leur diversité : diversité socio-culturelle, diversité des talents, diversité des tempéraments… en utilisant le modèle de la Spirale dynamique.

Conclusion

L’éducation est-elle dépassée ? Sommes-nous formés pour affronter ce qui nous arrive(ra) ? Quel est le rôle du monde de l’éducation face aux défis écologiques ? Ces questions ne peuvent trouver de réponses toutes faites. Cependant, à l’issue de cette étude, tentons de dégager quelques idées saillantes.

1. Poser un regard lucide.

Une des fonctions majeures de l’éducation n’est-elle pas de transmettre des savoirs, avec rigueur scientifique ? En ce qui concerne la situation écologique, le constat peut être résumé ainsi : sur 9 limites planétaires étudiées, 6 sont déjà dépassées. Il s’agit du climat, de la biodiversité, des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, de l’occupation des sols (dont le taux de déforestation), de l’utilisation mondiale de l’eau, de la présence d’entités nouvelles dans la biosphère (pollution chimique). Ce simple constat devrait nous inciter à « consacrer la majeure partie de nos ressources à la métamorphose, à soutenir et susciter toutes les expérimentations d’autres manières d’habiter le monde, à refonder totalement notre système d’éducation pour quitter la poursuite du business-as-usual », selon Laurent Lievens. Or, « si la majorité des professeurs sont aujourd’hui conscients des crises écologiques à venir, peu d’entre eux vivent leur travail comme une réponse directe à celles-ci », estime Nicolas Gazon. « Depuis plusieurs décennies, l’École a tendance à courir après les évolutions de société », ajoute-t-il, avant de formuler un espoir : « Aujourd’hui, elle peut à nouveau se donner pour mission de les devancer ».

2. Changer l’éducation pour changer la société (et inversement).

Loin d’être un ilot isolé, le monde de l’éducation occupe une place centrale au sein de la société. Si nous voulons changer la société, il est donc impératif de changer l’enseignement. Comme l’observe Laurent Lievens, le système éducatif peut jouer « un rôle capital de formation par et pour cette métamorphose : en dotant les apprenants des clés de compréhension et d’action vis-à-vis du réel, en les outillant d’une pensée complexe et systémique, en leur fournissant un équilibre entre raison critique, raison instrumentale et sagesse, et en les armant intellectuellement […] ». Et Nicolas Gazon d’abonder : « L’écologie dans une école ne peut plus être présentée comme un à côté : un chapitre, un projet, une sortie, un spectacle… mais comme étant au cœur de la vie scolaire ». À l’inverse, puisque le système éducatif est lui-même imbriqué dans un ensemble de structures et de dynamiques qui forment la société, il est « impossible de changer l’École sans changer, dans le même temps, la société », rappelle Bernard Delvaux. La responsabilité du changement est donc collective. Elle concerne les institutions éducatives (de tout niveau : fondamental, secondaire et supérieur), le corps enseignant, les élèves, les parents, les responsables politiques, la société civile… et chacune et chacun de nous, dans nos lieux de vie, d’ancrage, de travail et d’engagement.

3. Stimuler l’imaginaire pour faire émerger des modèles alternatifs.

Pour changer, nous avons besoin de rêver. Pour bouleverser l’imaginaire social dominant, nous avons besoin de récits alternatifs. Or, l’enseignement n’est-il pas le lieu par excellence où l’imaginaire est créé, façonné, influencé, questionné, transformé ? Puisque les jeunes représentent la société de demain, « il est urgent de construire un récit qui [les] mobilise tous en s’appuyant directement sur leur diversité », plaide Nicolas Gazon. Un peu partout, des écoles à pédagogie alternative émergent. Des écolieux cherchent à développer de nouveaux modèles d’organisation, comme au Campus de la Transition. Des établissements plus « classiques », comme l’ICHEC, tentent de se transformer de l’intérieur. Si ces initiatives sont importantes, par leur rayonnement, leur seule présence est insuffisante. « C’est un tout autre horizon qui est requis », souligne Laurent Lievens. Dans cette optique, Bernard Delvaux propose « l’instauration de petites cités, ces territoires locaux d’une ou plusieurs communes où pourraient émerger démocratiquement des lettres de mission [alternatives] et qui pourraient faire ensuite tache d’huile ». Avant de conclure : « nous ne délaisserons la quête de puissance et de liberté que quand nous identifierons une quête nous enthousiasmant davantage que celle à laquelle nous consacrons aujourd’hui nos vies ».

4. Se former est indispensable.

Pour changer l’éducation et la société, pour penser et œuvrer à des modèles alternatifs, la formation est essentielle. À quatre conditions, toutefois. En premier lieu, la formation doit permettre d’acquérir des clés de compréhension des enjeux, de leurs causes et de leurs conséquences. Deuxièmement, elle doit amener à développer de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être pour répondre adéquatement aux enjeux – c’est-à-dire, en ce qui concerne les bouleversements écologiques, les atténuer et s’y adapter. « Pour y faire face, les nouvelles générations vont devoir mobiliser des compétences diversifiées en fonction des périls à traverser », note ainsi Nicolas Gazon. Troisièmement, Luigi Russi nous invite à penser la formation comme un pèlerinage, comme un accélérateur de transformation – intérieure (personnelle) et extérieure (de la société). Ainsi, « de façon similaire [à un pèlerinage], la formation à la transition ne se joue pas que par l’assimilation de nouvelles connaissances : l’expérience vécue demeure une partie essentielle de sa valeur transformatrice ». Avant de conclure, avec espérance : « Ces accélérateurs de moments intenses d’expérience offrent, à mon avis, grâce à leur cohérence profonde avec la complexité de l’humain et du monde, la meilleure garantie possible de co-produire des formes de vie qui soient vraiment capables de répondre à la complexité des enjeux de la transition et, au final, d’être durablement vivables ». Pour ce faire – et c’est une quatrième condition –, la formation ne peut pas seulement se donner verticalement, de haut en bas, mais aussi et surtout horizontalement, comme une « co-formation ». Ainsi, Bernard Delvaux met en évidence la « responsabilité de chaque citoyen dans la formation de chacun » et nous invite à nous dire : « Nous me formons en même temps que nous te formons ». Cette vision rejoint la dynamique des associations d’éducation permanente (ou d’éducation populaire), particulièrement actives en Belgique francophone.

5. Des outils pédagogiques innovants.

Afin d’atteindre des « kairos de formation », ces moments intenses évoqués par Luigi Russi, « les formatrices et les formateurs à la transition doivent maitriser l’art de composer, dans le contexte d’une formation, les rythmes de courants d’activité différents et complémentaires ». C’est dans cette optique que la pédagogie des six portes, la pédagogie tête-corps-cœur et la pédagogie en deux temps et trois mouvements déployées par le Campus de la Transition ont été pensées. Sans être exhaustifs, d’autres outils évoqués dans ce dossier peuvent également se montrer utiles pour former aux enjeux écologiques : la Fresque du climat, la Fresque des frontières planétaires, Horizons décarbonés, ou la Spirale dynamique. Ces outils ont l’avantage de pouvoir être utilisés dans des contextes (et temps) différents, avec des publics variés : enfants et adultes, élèves et enseignants, dirigeants et employés, salariés et bénévoles, etc. Ils encouragent l’intelligence (collective), le partage et la gestion des émotions, ainsi que l’action concrète. Sans oublier le rôle plus spécifique joué par des associations comme COREN, par exemple à travers les programmes « éco-teens » et « Ecoteam pour demain », ou grâce à un accompagnement vers l’obtention des labels « Eco-Schools » et « École durable », notamment à partir d’audits participatifs et de bilans environnementaux.

Pour lire l’intégralité de l’étude