En Question n°151

Vivre, c’est renoncer ?

Achetez ce numéro

Renoncer : un verbe qui n’a pas vraiment bonne presse. Dans nos imaginaires, il est généralement associé à la privation et à la morosité. Pourtant, certaines voix aujourd’hui veulent réhabiliter le renoncement, non seulement comme attitude mais encore plus comme politique. Pour faire du commun, une certaine forme de renoncement – à la primauté de nos idées et de notre parole – n’est-elle pas nécessaire ? Mais jusqu’où renoncer sans s’effacer ? Et comment avancer sur la voie du « non faire » ou du « non prendre » qui ne serait plus un choix individuel mais une décision collective ? Alors que l’époque que nous vivons nous rappelle que la liberté humaine ne peut s’affranchir des contraintes d’un monde fini, la revue En Question explore l’actualité du renoncement. Faut-il renoncer ? À quoi ? Pour quoi ? Sommes-nous égaux face au renoncement ? Peut-on promouvoir le renoncement alors que certains le vivent par nécessité et non par choix ?

edito

Choisir le renoncement

Simon-Pierre de Montpellier

Le renoncement : voilà un thème que l’on pourrait juger désespérant. Face aux nombreux défis de notre temps, serions-nous en train de vous suggérer de… laisser tomber ? Bien sûr que non, au contraire ! Renoncer n’est ni se résigner, ni abandonner, ni laisser faire. C’est, plutôt, poser un choix éclairé, prendre une décision en conscience, consentir à la vie, refuser de collaborer aux injustices, résister aux dominations et se libérer des aliénations. C’est, en somme, exercer activement sa liberté et sa citoyenneté.

En outre, il ne s’agit pas de renoncer pour renoncer. Le renoncement, seul, ne suffit pas. Selon le dictionnaire Le Robert, il se définit comme le « fait de renoncer (à une chose) au profit d’une valeur jugée plus haute ; attitude qui en résulte ». Renoncer, c’est donc avoir le courage de dire « non » à ce qui nuit pour pouvoir dire « oui » à ce qui ravive – moi-même, l’autre, la communauté et la société.

Toutefois, pour un certain nombre de personnes, précarisées, marginalisées, voire opprimées, le renoncement est rarement un choix, mais souvent une souffrance subie. Il est inacceptable que certains soient contraints de renoncer à leurs besoins essentiels, à leurs droits fondamentaux. Dès lors, il n’est évidemment pas question ici de promouvoir la misère. Bien au contraire, notre démarche vise (notamment) à nourrir une réflexion – et une action ! – collective sur la redistribution des richesses et le partage du pouvoir, qu’il soit politique, économique ou symbolique. Au nom de notre quête infatigable de justice sociale et du bien commun.

Dans une société où tout semble s’accélérer inexorablement, où le béton et les machines colonisent le vivant, où les richesses se concentrent entre les mains d’une minorité tandis que les inégalités se creusent au détriment de la majorité, où l’État-providence est détricoté aux dépens des plus faibles et au bénéfice des plus forts, où la guerre et la terreur semblent (re)prendre le dessus sur la diplomatie et le droit, où les violences sexistes et sexuelles explosent au grand jour, où le fossé entre élus et citoyens se creuse, où les idées et discours discriminatoires, de haine et de rejet se répandent… Renoncer à ce qui alimente ces tendances sociétales mortifères, c’est faire acte de résistance. Œuvrer à des alternatives justes, écologiques, démocratiques et solidaires, c’est semer l’espérance.

La voie du renoncement

Matthieu Peltier

Le renoncement a mauvaise presse. Pourquoi le réhabiliter ? En quoi peut-il être porteur de vie ? Devons-nous tous et toutes renoncer, et à quoi ? À rebours du discours ambiant, le philosophe Matthieu Peltier propose une vision désirable du renoncement, qu’il voit comme une nécessité pour répondre au bouleversement écologique, mais aussi et surtout comme une occasion de croître en sagesse, de gagner en liberté et d’accéder à une vie plus grande.

Visages du renoncement

Adeline de Wilde - Claude Decocq - Sandrine Dapsens - Simon-Pierre de Montpellier

Au cœur de ce dossier, nous avons souhaité donner la parole à des « experts » (principalement des expertes) du renoncement. Maria, Marie-France, Isabelle et Julie vivent dans la précarité (subie). Adeline a fait le choix de renoncer au consumérisme. Simon-Pierre est en situation de handicap. Claude vit l’interculturalité au cœur de son couple. Ces personnes témoignent de leur(s) renoncement(s) : ce qui est difficile ou lourd pour elles, la joie qu’elles y trouvent, et les réflexions et engagements que cela leur inspire.

Renoncer se conjugue au pluriel

Étienne Grieu

En écho aux témoignages qui précèdent, nous avons demandé à Étienne Grieu, théologien jésuite engagé aux côtés de personnes en situation de pauvreté, de lire et réagir aux récits de Maria, Julie, Isabelle, Marie-France, Adeline, Simon-Pierre et Claude. Ce faisant, il nous aide à déployer ce que l’expérience du renoncement peut contenir et annoncer[…]

Discernement en commun et renoncement

Franck Janin

Pratiquer la démocratie ne nécessite-t-il pas des formes de renoncement ? À partir de l’expérience du discernement en commun, Franck Janin démontre que construire des décisions communes en vue d’un « bien supérieur » implique de renoncer à ses préjugés, à interrompre, à ce que sa propre idée soit celle qui prévaut, à aller (trop) vite… mais sans jamais renoncer à sa liberté intérieure. À rebours de l’image négative généralement accolée à cette idée, il voit dans le renoncement « un gain, une victoire, une libération »[…]

Alexandre Ansay, Latifa El Hamdi et Rozemarijn Vanwijnsberghe : Le pari de l’autre

Christophe Renders

La construction d’une société plurielle dans laquelle chacune et chacun puisse se sentir « chez soi » ne nous convoque-t-elle pas à une certaine forme de renoncement ? Puis-je vraiment rencontrer l’autre, différent de moi par sa culture ou par ses convictions, si je ne suis pas prêt.e à le laisser me transformer et par conséquent à lâcher une part de moi-même ? Mais comment se laisser déplacer par la parole et la présence de l’autre, sans s’effacer, sans se perdre ? Rencontre autour de ces questions avec Alexandre Ansay, Latifa El Hamdi et Rozemarijn Vanwijnsberghe, trois personnes qui, chacune selon des modalités propres, relèvent le défi de la rencontre interculturelle[…]

Alexandre Monnin : Politiser le renoncement

Simon-Pierre de Montpellier

Avec deux collègues, Emmanuel Bonnet et Diego Landivar, nous avons initié le courant de la redirection écologique. Celui-ci a la particularité de mettre au cœur de ses préoccupations la question du renoncement, de l’arrêt, de la fermeture ou du démantèlement de réalités qui menacent la viabilité du système Terre et l’habitabilité humaine, et ce dans de bonnes conditions environnementales, sociales et politiques. En effet, on ne peut pas se contenter de verdir ces réalités néfastes, de les rendre plus efficientes, de consommer moins, de produire moins[…]

Numérique et IA : non pas y renoncer mais les transformer !

Anne Alombert

Depuis la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis le 5 novembre 2024 et la nomination consécutive d’Elon Musk à la direction du Département de l’Efficacité Gouvernementale (à créer), de nombreux médias, parmi lesquels The Guardian, La Vanguardia ou encore Ouest France, ont annoncé leur départ de la plateforme X (ex-Twitter), devenue la propriété de Musk depuis 2022. La campagne électorale américaine s’est en effet caractérisée par la diffusion massive de fausses informations[…]